Arrêt du Tribunal fédéral 2C_795/2022 du 15 mars 2024

Application d’une norme de nature procédurale entrée en vigueur après le dépôt d’une demande d’assistance administrative

  • Bearbeitet durch: Rafi Feller
  • Beitragsart: Grundsatzurteil
  • Rechtsgebiete: Internationale Amtshilfe
  • Zitiervorschlag: Rafi Feller, Arrêt du Tribunal fédéral 2C_795/2022 du 15 mars 2024, ASA online Grundsatzurteile
Arrêt du Tribunal fédéral 2C_795/2022 du 15 mars 2024 dans la cause opposant A. à l’Administration fédérale des contributions, Service d’échange d’informations en matière fiscale SEI, Assistance administrative (CDI CH-FR).

Contenu

  • 1. Regeste
  • 2. Faits (résumé)
  • 3. Extrait des considérants

1.

Regeste ^

L’art. 18a LAAF qui permet d’assurer l’assistance administrative lorsque la personne visée est décédée est une disposition de nature procédurale. Elle s’applique dès lors immédiatement dès son entrée en vigueur et à toutes les demandes d’assistance administrative en matière fiscale en cours, indépendamment de la date du décès (consid. 6.5).

Art. 18a StAhiG, der die Leistung der Amtshilfe betreffend einer verstorbenen betroffenen Person ermöglicht, ist eine Bestimmung verfahrensrechtlicher Natur. Sie ist unmittelbar nach ihrem Inkrafttreten und für alle laufenden Amtshilfeersuchen in Steuersachen, unabhängig vom Todesdatum, anwendbar (E. 6.5).

2.

Faits (résumé) ^

A.

A.a. Le 11 mai 2016, la Direction générale des finances publiques française (DGFP ; ci-après : l’autorité requérante ou l’autorité française) a déposé une demande d’assistance administrative en matière fiscale auprès de l’Administration fédérale des contributions (ci-après : l’Administration fédérale ou l’AFC) fondée sur l’art. 28 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (ci-après : CDI CH-FR, RS 0.672.934.91).

(…)

A.c. Le 16 janvier 2020, les avocats de C.________ ont informé l’Administration fédérale du décès, en octobre 2018, de leur mandant, qui était lié à un compte bancaire concerné par la demande d’assistance administrative du 11 mai 2016. Ils précisaient que son épouse, A.________, était la seule héritière du compte bancaire précité et qu’ils la représentaient désormais dans la procédure.

B.

Par décision finale du 3 mars 2021 notifiée à A.________, l’Administration fédérale a accordé l’assistance administrative à l’autorité requérante et décidé de lui transmettre les renseignements concernant le compte bancaire lié à feu C.________. Sous le titre « Restrictions à l’utilisation des informations », la décision précise que : « Lors de la transmission, l’AFC rappellera à la DGFP les restrictions à l’utilisation des renseignements et les obligations de confidentialité [...]. En particulier, l’AFC, conformément à la réserve de spécialité [...], rappellera que les informations transmises ne peuvent être utilisées qu’en relation avec la/les personne/s concernée/s et pour les faits décrits dans la demande (arrêt du Tribunal fédéral 2C_537/2019 du 13 juillet 2020 consid. 3.7) ».

Par arrêt du 6 septembre 2022, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours interjeté par A.________ contre la décision finale du 3 mars 2021. Il a jugé que les conditions de l’octroi de l’assistance administrative étaient remplies et que l’assistance administrative pouvait être exécutée concernant C.________, quand bien même cette personne était décédée au cours de la procédure.

C.

A l’encontre de cet arrêt, A.________ forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Sous suite de frais et dépens, elle lui demande, principalement, de l’annuler, de déclarer irrecevable la demande d’assistance administrative du 11 mai 2016 la concernant, de refuser toute forme d’assistance administrative à l’autorité requérante et de ne communiquer aucune information la concernant ; subsidiairement, de renvoyer la cause au Tribunal administratif fédéral pour qu’il rende une nouvelle décision, en lui ordonnant préalablement d’obtenir une garantie que les renseignements seraient utilisés conformément au droit applicable, de révoquer le courrier du 2 janvier 2020 adressé par l’autorité requérante à l’Administration fédérale ainsi que tout accord qui en découlerait, d’interpeller l’autorité requérante sur la prescription et d’ordonner que tout envoi de renseignements indique les éventuels montants qui ont été soumis à l’art. 3 de l’Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts, dans sa version antérieure au 1er janvier 2017 ; plus subsidiairement, de renvoyer la cause au Tribunal administratif fédéral ou à l’Administration fédérale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Le Tribunal administratif fédéral s’en tient à son arrêt. L’Administration fédérale conclut au rejet du recours.

(...)

3.

Extrait des considérants ^

(...)

1.

Selon l’art. 83 let. h LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions en matière d’entraide administrative internationale, à l’exception de l’assistance administrative en matière fiscale. Il découle de l’art. 84a LTF que, dans ce dernier domaine, le recours n’est recevable que lorsqu’une question juridique de principe se pose ou lorsqu’il s’agit, pour d’autres motifs, d’un cas particulièrement important au sens de l’art. 84 al. 2 LTF.

1.1. D’après la jurisprudence, la présence d’une question juridique de principe suppose que la décision en cause soit importante pour la pratique ; cette condition est en particulier réalisée lorsque les instances inférieures doivent traiter de nombreuses causes analogues ou lorsqu’il est nécessaire de trancher une question juridique qui se pose pour la première fois et qui donne lieu à une incertitude caractérisée, laquelle appelle de manière pressante un éclaircissement de la part du Tribunal fédéral (ATF 139 II 404 consid. 1.3 ; arrêt 2C_289/2015 du 5 avril 2016 consid. 1.2.1 non publié in ATF 142 II 218 ; arrêt 2C_54/2014 du 2 juin 2014 consid. 1.1, in StE 2014 A 31.4. Nr. 20).

1.2. La recourante soutient que la présente cause soulève une question juridique liée à l’application dans le temps de l’art. 18a de la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale (LAAF ; RS 651.1 ; ci-après aussi : loi fédérale sur l’assistance administrative fiscale), qui prévoit que l’assistance administrative peut être exécutée concernant des personnes décédées. Il s’agit de savoir si l’assistance administrative peut être accordée lorsque la demande d’assistance vise une personne décédée avant l’entrée en vigueur de cette disposition le 1er novembre 2019 et si celle-ci s’applique à des demandes d’assistance administrative ou à des périodes fiscales antérieures au 1er novembre 2019. Déterminer dans quelle mesure l’Administration fédérale doit transmettre des renseignements à l’autorité requérante en exécution d’une demande d’assistance administrative lorsque la personne visée par la demande décède en cours de procédure suppose de s’interroger sur la nature de l’art. 18a LAAF et sur son application dans le temps. Ces questions sont d’une importance certaine en pratique et nécessitent une clarification du Tribunal fédéral. La condition de recevabilité de l’art. 84a LTF est donc remplie.

2. (…)

3.

La demande d’assistance administrative du 11 mai 2016 qui est à l’origine de la présente procédure est régie par l’art. 28 CDI CH-FR et le chiffre XI du Protocole additionnel à la CH-FR. Sur le plan interne, c’est la LAAF, applicable en l’espèce (cf. art. 24 LAAF), qui concrétise l’exécution en Suisse de l’assistance administrative en matière d’échange de renseignements sur demande (cf. art. 1 LAAF ; ATF 146 II 150 consid. 5.4 ; 143 II 224 consid. 6.1 ; 628 consid. 4.3).

4.

Le litige porte sur le point de savoir si c’est à bon droit que le Tribunal administratif fédéral a confirmé que l’assistance administrative requise par l’autorité requérante le 11 mai 2016 devait être exécutée s’agissant du compte bancaire lié à feu C.________, décédé en octobre 2018.

5. (…)

6.

La recourante reproche (...) aux juges précédents d’avoir violé le principe d’interdiction de la rétroactivité des lois en confirmant la transmission de renseignements concernant C.________ en vertu de l’art. 18a LAAF, entré en vigueur le 1er novembre 2019, alors que cette personne était décédée en octobre 2018. Elle fait valoir que, contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal administratif fédéral, l’art. 18a LAAF n’est pas une disposition de procédure applicable immédiatement, mais une disposition qui a une portée matérielle en ce sens qu’elle étend l’échange aux renseignements concernant des personnes décédées. Or, en tant que disposition matérielle, l’art. 18a LAAF ne pourrait s’appliquer que si la personne visée par une demande est décédée après son entrée en vigueur le 1er novembre 2019 et ne pourrait concerner que les périodes fiscales postérieures à cette date.

6.1. Il faut d’abord rappeler que l’échange de renseignements fiscaux sur demande instaure une collaboration entre États, laquelle ne prévoit pas la participation des personnes qui en font l’objet (cf. ATF 146 I 172 consid. 6.1). Il est certes admis que les États parties à une convention qui instaure un échange de renseignements sur demande peuvent prévoir, dans leur droit interne, des droits procéduraux pour les personnes visées. Ces droits ne peuvent toutefois pas entraver ou retarder la correcte exécution de l’échange de renseignements (cf. OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune, 2019, Commentaire, n° 14.1 ad art. 26 ; ATF 146 I 172 consid. 6.2 ; dans le contexte de la CDI-FR, cf. aussi le ch. XI par. 5 du Protocole additionnel à la CDI CH-FR, qui concrétise ce principe dans le contexte de l’échange de renseignements fiscaux franco-suisse en prévoyant que les règles de procédure administrative relatives aux droits du contribuable s’appliquent dans l’État requis, sans pour autant que leur application puisse entraver ou retarder indûment les échanges effectifs de renseignements).

6.2. En Suisse, la loi fédérale sur l’assistance administrative fiscale accorde des droits procéduraux à une personne visée par une demande d’assistance administrative. Cela se concrétise notamment par le fait que cette personne doit être informée de l’existence de la procédure (cf. art. 14 et 14a LAAF), qu’elle peut y prendre part (art. 15 LAAF) et que, si elle s’oppose à la transmission de renseignements, l’Administration fédérale doit lui notifier une décision finale, dans laquelle elle justifie l’octroi de l’assistance administrative et précise l’étendue des renseignements à transmettre (art. 17 al. 1 LAAF).

6.3. Si la personne visée décède au cours de la procédure devant l’Administration fédérale, aucune décision finale ne peut plus lui être notifiée. Cet obstacle lié au décès découle du choix de la Suisse de conférer des droits procéduraux aux personnes intéressées. Or, comme le droit de procédure qui s’applique en droit interne ne peut pas entraver la bonne exécution de l’assistance administrative (supra consid. consid. 6.1), cela ne peut pas conduire la Suisse à s’abstenir d’exécuter l’assistance administrative en cas de décès, puisque les renseignements requis conservent leur pertinence vraisemblable (…). C’est pourquoi l’art. 18a LAAF prévoit que l’assistance administrative peut être exécutée concernant des personnes décédées et que leurs successeurs en droit se voient conférer le statut de partie.

6.4. L’historique de cette disposition montre que l’art. 18a LAAF a été introduit dans la LAAF, lors de la révision partielle de la loi entrée en vigueur le 1er novembre 2019 (RO 2019 3161), pour donner suite à une recommandation du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (ci-après : Forum mondial) d’assurer l’exécution de l’échange de renseignements en cas de décès de la personne visée. Cette exécution n’était alors pas garantie, en raison d’une jurisprudence initiée en 2010 par le Tribunal administratif fédéral, qui statuait comme unique instance de recours dans le domaine de l’assistance administrative internationale fiscale (la possibilité de recourir au Tribunal fédéral n’est ouverte que depuis le 1er février 2013, avec l’entrée en vigueur de l’art. 84a LTF [RO 2013 231]). Dans l’arrêt A-6711/2010 du 1er décembre 2010, le Tribunal administratif fédéral avait en effet constaté la nullité d’une décision finale que l’Administration fédérale avait notifiée à une personne visée par une demande d’assistance administrative, mais qui était décédée, ce qui avait pour conséquence selon cet arrêt que l’assistance administrative ne pouvait pas être exécutée (cf. consid. 3.4 de l’arrêt ; Céline Martin/Michael Urwyler, in Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht, Amtshilfe, 2020, § 8 Verfahren vor ESTV, n° 31). Afin qu’il soit tout de même possible d’exécuter l’assistance administrative en cas de décès de la personne visée par une demande, l’Administration fédérale avait alors développé une pratique consistant à déterminer les éventuels successeurs légaux pouvant servir de destinataires de la décision finale, mais cette pratique supposait que les successeurs légaux disposent de la capacité d’être partie et de la capacité d’ester en justice selon le droit suisse et qu’ils puissent être identifiés, ce qui n’était pas toujours possible (cf. Message du 21 novembre 2018 sur la mise en œuvre des recommandations du Forum mondial émises dans le rapport de phase 2 de la Suisse, FF 2019 300 ch. 2.3.1.1). C’est la raison pour laquelle, dans son rapport d’examen de la Suisse du 16 juillet 2016 (phase 2), le Forum mondial a recommandé à la Suisse de faire en sorte que « les renseignements sur les personnes décédées puissent être échangés en toutes circonstances » (Message précité, FF 2019 277 ch. 2.3.1).

6.5. L’art. 18a LAAF permet ainsi à la Suisse d’assurer l’exécution d’une demande d’assistance administrative lorsqu’il apparaît que la personne visée par la demande est décédée. Il ne s’agit donc pas d’une disposition matérielle, mais procédurale, contrairement à ce que soutient la recourante. Cette portée correspond du reste à la vocation de la LAAF, qui consiste à régler l’exécution en Suisse des demandes d’assistance administrative (supra consid. 3). En outre, l’art. 18a LAAF permet de mettre en œuvre les obligations internationales de la Suisse (…). Il s’ensuit que l’art. 18a LAAF ne déroge pas à la nature procédurale de cette loi fédérale. Partant, comme toutes les règles procédurales, elle s’applique immédiatement dès son entrée en vigueur et donc aux demandes d’assistance administrative en matière fiscale en cours, indépendamment de la date à laquelle elles ont été formulées, de la date du décès de la personne visée ou des périodes visées par la demande d’assistance administrative.

6.6. Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que le Tribunal administratif fédéral a jugé que la demande devait être exécutée nonobstant le décès de feu C.________. Le grief de violation de l’art. 18a LAAF en lien avec l’interdiction de la rétroactivité des lois, infondé, est rejeté.

7. à 9. (…)

10.

Ce qui précède conduit au rejet du recours. (...)