Dans un premier exposé, Stephan Brunner (chef de la section droit, Chancellerie fédérale), a présenté les projets en cours en relation avec l’obligation de publier les rapports explicatifs des ordonnances. Cette proposition existait de longue date et avait notamment été évoquée lors de la rédaction de la loi sur la transparence (LTrans ; RS 152.3). Plus récemment, elle est devenue d’actualité dans le cadre de la révision de la loi sur la consultation (LCo ; RS 172.061), faisant suite au rapport du 7 septembre 2011 de la Commission de gestion du Conseil fédéral (Evaluation de la pratique de la Confédération en matière de procédures d’audition et de consultation). Ce rapport recommandait notamment d’améliorer la transparence des procédures de consultation et la communication de leurs résultats, de telle manière à ce que les participants soient effectivement informés du traitement de leurs prises de position (recommandation 2). Cette recommandation a été acceptée par le Conseil fédéral.
Le message du 6 novembre 2013 relatif à la modification de la loi sur la consultation (FF 2013 7957) prévoit en conséquence la possibilité de publier sur une plateforme centrale les rapports explicatifs accompagnant les ordonnances du Conseil fédéral. Il retient qu’il appartiendra à l’ordonnance de définir plus précisément les ordonnances pour lesquelles ces rapports devront être publiés, ainsi que les exigences en matière de contrôle de qualité et de traduction ; il ajoute que dans ce contexte, « on peut prévoir également que les explications (....) devront contenir des renseignements quant à la manière dont les avis exprimés lors de la consultation sont pris en compte » (FF 2013 p. 7974). Le message du 28 août 2013 relatif à la modification de la loi sur les publications (FF 2013 6325) prévoit également la publication sur une nouvelle plateforme des rapports explicatifs relatifs à des projets d’ordonnance de portée majeure (art. 13a de la loi sur les publications officielles, LPubl ; RS 170.512), sous réserve de l’achèvement de la modernisation du système de publication géré par le Centre des publications officielles (CPO) ; il introduit aussi la possibilité de nouvelles exceptions à l’obligation de publier dans les trois langues officielles (art. 14 al. 2 LPubl, pas encore en vigueur).
Enfin, la question a été à nouveau traitée en relation avec l’initiative parlementaire 14.422 Aeschi visant à instaurer un droit de veto du Parlement sur les ordonnances. Celle-ci prévoit que, dans les quinze jours suivant la publication d’une ordonnance, un tiers au moins des membres d’un conseil peut déposer une proposition visant à lui opposer un veto. Ce droit de veto peut en principe être exercé sur toute ordonnance arrêtée par le Conseil fédéral ou un département, sous réserve de certaines exceptions (notamment lorsque le Conseil fédéral édicte une ordonnance en se fondant directement sur la Constitution ou lorsque l’adoption de l’ordonnance ne souffre aucun retard pour des raisons pratiques). Dans ce contexte, l’avant-projet publié par la Commission des institutions politiques du Conseil national le 25 mai 2018 (consultation en cours, disponible sur www.parlament.ch/centers/documents/fr/bericht-spk-n-14.422-2018-05-31-f.pdf#search=%22loi%20sur%20les%20publications%22) prévoit que les ordonnances sujettes au veto feront l’objet d’une publication dans la Feuille fédérale. La majorité de la commission propose que les rapports explicatifs qui s’y rattachent soient publiés, de manière séparée, sur la plate-forme en ligne accessible en public prévue par l’art. 13a LPubl ; une minorité souhaite que la publication des rapports se fasse également dans la Feuille fédérale, dans les trois langues officielles.
La mise en oeuvre des nouvelles prescriptions de la LCo et de la LPubl est en cours. Il s’agit notamment de déterminer les exigences relatives au contenu des rapports explicatifs, qui s’aligneront vraisemblablement sur celles des messages (cf. déjà art. 8 al. 5 de l’ordonnance sur la consultation, OCo ; RS 172.061.1) en particulier pour ce qui concerne la prise en compte des résultats de la consultation, voire d’une éventuelle analyse d’impact de la règlementation. Une révision de l’OCo est prévue, notamment sur les questions de la publication par renvoi et des exceptions à l’obligation de publier dans les trois langues officielles, de même qu’une possible révision de l’ordonnance sur les services linguistiques (OSLing ; RS 172.081) pour ce qui concerne les exigences en matière de contrôle de la qualité. Une adaptation des processus sera aussi nécessaire. On doit notamment déterminer la manière dont le contrôle de la qualité sera exercé sur les rapports explicatifs, prévoir que ces rapports seront introduits sous la forme d’annexes séparées aux propositions soumises au Conseil fédéral (Classeur rouge), préciser la procédure de publication à suivre par le CPO ainsi que la manière dont les rapports explicatifs devront être adaptés lorsque la procédure de co-rapport conduit à modifier le texte.
La Chancellerie se fonde sur les hypothèses de travail suivantes pour déterminer la suite du planning : les conditions techniques pour la publication sur la plateforme centrale seront réalisées au plus tard le 1er juillet 2019; l’initiative parlementaire relative au droit de veto n’est pas rendue obsolète par la décision de la commission de modifier la loi sur les publications. Si ces hypothèses se vérifient, les prochaines étapes seront les suivantes: un groupe de travail interne à la CHF sera créé pour évaluer le besoin de révision des bases légales ou autres et soumettre des propositions. Celles-ci seront validées en collaboration avec les départements fin 2018–2019, en vue d’une consultation des offices et d’une proposition au Conseil fédéral au cours du premier trimestre 2019. L’entrée en vigueur des modifications de la loi sur les publications serait donc au plus tôt prévue pour la deuxième partie de l’année 2019, alors que les discussions sur le droit de veto du Parlement devraient se prolonger au-delà.
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Le Forum s’est poursuivi par une présentation à quatre voix sur le thème des Job Rotation. Colette Rossat-Favre (Cheffe de l’Unité Législation I, Office fédéral de la justice) a rappelé l’origine de cette pratique, d’abord développée dans des entreprises danoises dès les années 80, puis introduite à l’Office fédéral de la justice (OFJ) au début des années 90. Entre 1992 et 2002, la pratique de la Job Rotation entre l’OFJ et divers offices (ODT, OFSP, AFC, SG-DFJP, SECO, RFA, OFFT) a connu une période de succès, avec une dizaine d’expériences réussies; l’intérêt des employés a par la suite diminué, peut-être parce que la plupart des intéressés avait déjà pu en profiter. Aujourd’hui, l’OFJ souhaite redonner un nouvel élan à la pratique, récemment relancée à l’initiative de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI). Jusqu’ici, les échanges ont toujours eu lieu entre l’OFJ et un autre office. Il serait réjouissant que la pratique soit étendue à des échanges entre différents autres offices.
La Job Rotation vise à renforcer les compétences (notamment en légistique), à donner de nouvelles perspectives aux collaborateurs (Job Enrichment), à renforcer les collaborations entre offices, à découvrir de nouvelles « cultures d’entreprises » et d’autres manière de faire, ainsi qu’à élargir son réseau de contacts. Pour une expérience réussie, il est nécessaire que les participants soient expérimentés, fassent preuve de curiosité et d’une capacité à s’impliquer rapidement dans de nouveaux domaines, sachent travailler de manière autonome, en sortant de leur zone de confort et en s’ouvrant à d’autres manières de faire. En effet, un échange de postes n’est pas un stage de formation ou d’observation, mais doit être un engagement à part entière, comme membre d’une équipe; cette pratique s’adresse donc à des personnes disposant déjà d’une solide expérience professionnelle qui sont à même de gérer de nouveaux dossiers de manière autonome.
Irene Schatzmann (Cheffe suppléante au service juridique droit général, design et mise en oeuvre du droit, IPI), a présenté ensuite son expérience : employée en qualité de cheffe suppléante au service juridique droit général, design et mise en oeuvre du droit de l’IPI, elle a récemment effectué une Job Rotation de six mois au sein de l’OFJ, dont elle tire un bilan très positif. Elle relève qu’il a été nécessaire de franchir certains obstacles administratifs, peut-être accrus du fait que l’IPI n’est pas soumis à la loi sur le personnel (LPers, RS 172.220.1), de telle sorte que les règlementations de l’OFJ et l’IPI différaient sur de nombreux points (temps de travail, remboursement des frais, solde vacances, formation continue, etc.). En outre, la Job Rotation devait s’effectuer entre deux personnes travaillant à des taux d’engagement distincts (70% à l’OFJ contre 100% à l’IPI). Il a toutefois été possible de trouver des solutions pragmatiques sur chacune de ces questions, les deux offices étant motivés par l’expérience et prêts à faire preuve de flexibilité (par exemple, l’OFJ a pris en charge les coûts de formations continues, prises sur le temps de travail, pour compenser la différence entre les deux taux d’activité). Sur le plan personnel et professionnel, Irene Schatzmann considère que la « Job Rotation » a été grand enrichissement; elle lui a permis de connaître de l’intérieur l’organisation, les processus et les collaborateurs de l’OFJ. Active dans l’accompagnement législatif, un domaine de travail tout à fait nouveau pour elle, elle a pu examiner sous un nouvel angle les projets de loi (constitutionnalité et légalité des projets, cohérence formelle et matérielle, aspects linguistiques, etc.). Elle a beaucoup apprécié le travail au sein de sa nouvelle équipe et l’expérience a donné un nouvel élan à sa carrière.
Bettina Steffen (collaboratrice scientifique, Unité Législation I, Office fédéral de la justice) a partagé à son tour son expérience : collaboratrice à 70% au sein de l’OFJ, elle avait envie de découvrir un domaine du droit tout à fait différent de celui dans lequel elle travaille d’habitude; elle était d’autant plus motivée que cette expérience se ferait dans un établissement autonome et offrant des prestations au marché, soit une organisation très différente de l’administration centrale. Sa Job Rotation s’est effectuée au sein du service juridique général de l’IPI, qui fonctionne de manière similaire à celui d’une entreprise et répond à des questions très variées (droit du travail, protection des données, marchés publics, etc.). Très bien accueillie par l’ensemble du personnel de l’IPI, elle a pu travailler de manière autonome et acquérir rapidement de nouvelles connaissances; une grande confiance lui a été accordée dès le début de son engagement et elle a été tout à fait intégrée au sein de son équipe, en étant également consultée sur les questions liées aux buts et stratégies de l’IPI. Même si les questions traitées étaient souvent nouvelles pour elle, il lui a été finalement facile de se retrouver sur ces nouvelles problématiques juridiques, même pour une période de six mois. Pour une expérience réussie, elle recommande aux intéressés de savoir faire preuve d’ouverture pour un nouvel environnement et de nouveaux domaines de travail, de n’avoir pas peur de contacter activement leurs nouveaux collègues et supérieurs, de poser des questions et de prendre des initiatives. Au terme de cette Job Rotation, elle considère que celle-ci a été un enrichissement pour toutes les parties impliquées, lui a permis de développer son réseau, de mieux comprendre le travail d’autres parties de l’administration, d’augmenter sa flexibilité et d’acquérir des compétences supplémentaires.
Enfin, Jürg Herren (Chef du Service juridique Droit général, designs et mise en oeuvre du droit, IPI) a présenté son point de vue, en qualité de supérieur d’un employé engagé dans une Job Rotation. Il a relevé qu’il était important de savoir sortir de sa zone de confort, y compris pour la hiérarchie, et de gérer les obstacles administratifs de manière pragmatique, avec la flexibilité nécessaire. Pour lui, il a été nécessaire de renoncer pendant 6 mois à un 30% de taux d’occupation. Une Job Rotation suppose que les deux collaborateurs impliqués soient expérimentés et puissent se mettre au travail immédiatement. L’expérience réalisée avec l’OFJ a été très riche : comme supérieur, il a pu en retirer un regard extérieur sur leurs pratiques, avec une autre expérience; en outre, après six mois, leur collaboratrice est revenue avec de nouvelles connaissances et un nouveau know how. La pratique est aussi importante pour donner des perspectives aux collaborateurs avec des années d’expérience. Elle permet enfin d’améliorer le contact avec l’OFJ et de donner une meilleure compréhension des personnes et des processus.
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Enfin, Philippe Gerber (Chef suppléant de l’Unité législation I, OFJ) a présenté les standards en matière de projets pilotes, qui ont récemment été revus et complétés par l’OFJ.
Un projet pilote en matière législative est une règlementation expérimentale, à savoir un acte législatif destiné à tester une règlementation en vue de son adoption ultérieure définitive, limité dans le temps et dont les effets sont soumis à une évaluation. Il se distingue sur ces points de projets pilotes qui ne se concrétisent que sous la forme de nouvelles modalités d’exécution ou des dispositions légales qui sont simplement soumises à évaluation au terme d’un certain nombre d’années. Un exemple est par exemple l’ordonnance sur le projet pilote « Budget d’assistance » en matière d’assurance-invalidité (RO 2005 3529, prolongée à deux reprises puis intégrée dans la 6ème révision, 1er volet, de la loi sur l’assurance-invalidité [LAI; RS 821.20; RO 2011 5659]).
Traditionnellement (cf. Guide de législation de l’OFJ, § 586 ss), les critères appliqués aux projets pilotes sont les suivants :
- Il s’agit d’un acte législatif d’une durée limitée. La durée initiale d’un projet est usuellement de quatre ans. En principe, elle est prolongeable. Selon le Guide de législation (§ 587), cette prolongation peut seulement être liée à des motifs découlant du but de l’essai; elle doit ainsi être due à la nécessité de disposer de davantage de temps pour évaluer les effets de la législation, plutôt qu’à l’attente d’une base légale formelle.
- L’acte doit contenir une clause d’évaluation, qui devrait régler explicitement la récolte et la mise en valeur des données, les organes compétents, les données pertinentes et les critères d’appréciation. La pratique est souvent plus souple (cf. pour un exemple relativement imprécis, où le soin de régler le suivi du projet est délégué à l’office, art. 14a de l’ordonnance sur les aides financières à l’accueil extra-familial pour enfants (OAAcc ; RS 861.1), tel qu’introduit par la modification du 29 août 2007 (RO 2007 4383) : « L’office conclut des contrats de prestations avec les cantons et les communes et y fixe (...) le suivi scientifique du projet, l’établissement de rapports et l’évaluation à conduire ». Pour un exemple plus complet, cf. art. 8 al. 2 de l’ordonnance sur la réalisation de phases de test relatives aux mesures d’accélération dans le domaine de l’asile (OTest ; RS 142.318.1) selon lequel le SEM évalue en particulier les processus de procédure de première instance, la réalisation des tâches des prestataires et l’efficience économique des charges financières et en personnel. L’évaluation se déroule de manière continue. Un rapport final est rendu au plus tard cinq mois après la fin des phases de test.
- L’essai doit être un moyen nécessaire et adéquat d’obtenir les informations cherchées. C’est une application du principe de la proportionnalité. Elle exclut par exemple le fait de lancer un projet pilote alors que d’autres méthodes (recherche théorique, etc.) seraient à disposition pour obtenir les données pertinentes.
- La participation au projet est en principe volontaire (cf. par exemple art. 2 de l’ordonnance de l’OFAS sur le projet pilote « Capital de départ » [RS 831.201.71] : « peuvent participer au projet pilote les bénéficiaires de rente AI [....]; la participation est facultative. »). Des exceptions peuvent se justifier, lorsque le caractère volontaire de la participation affecterait la validité des résultats de l’expérience (cf. par exemple : art. 4 de l’ordonnance sur la réalisation de phases de test relatives aux mesures d’accélération dans le domaine de l’asile [RS 142.318.1] : « les requérants dont la demande d’asile doit être traitée dans le cadre de phases de test sont choisis de manière aléatoire et assignés à un centre de la Confédération »; on a ici considéré qu’une sélection des participants sur une base volontaire aurait abouti à des résultats non représentatifs de l’ensemble des demandeurs d’asile, puisque seules les personnes intéressées à l’aboutissement le plus rapide possible de leur procédure se seraient annoncées).
- Le projet pilote ne doit pas créer de situations totalement irréversibles (cf. art. 5 al. 1 de l’ordonnance sur le projet pilote « Budget d’assistance » [RS 831.203] : « Il est possible de sortir du projet pilote en tout temps »). Les participants ont en principe le droit de quitter le projet (même si un délai peut leur être imposé) et d’être soumis à nouveau au droit ordinaire. En particulier lorsque le projet pilote régit une situation juridique durable, il est important de régler explicitement les modalités de la fin de la participation et celles du retour au droit ordinaire. Ici aussi, des exceptions sont envisageables, notamment lorsque la participation n’a pas été décidée sur une base volontaire.
- Le caractère expérimental et le but sont explicitement mentionnés dans l’acte législatif lui-même.
- Une base légale formelle claire est nécessaire en cas d’atteinte grave aux droits fondamentaux.
- Le champ d’application personnel ou territorial de la législation expérimentale doit être aussi limité que possible; il doit seulement couvrir ce qui est nécessaire pour permettre d’évaluer les effets du projet.
A ces critères traditionnels s’ajoutent un certain nombre de critères complémentaires définis récemment par l’OFJ :
- Si le projet pilote implique une dérogation à une réglementation légale, la possibilité de déroger à la loi doit figurer dans la loi formelle. Ce principe résulte d’une certaine évolution de la pratique. On a longtemps considéré que le Conseil fédéral avait la compétence de tester, sans base formelle, une nouvelle réglementation avant de la proposer au niveau de la loi. Cette pratique faisait l’objet de critiques. Vu l’introduction dans nombre de lois depuis le début des années 2000 d’une habilitation à mettre en oeuvre des projets pilotes dérogeant à la loi, il faut en déduire qu’une décision de principe du législateur est nécessaire pour pouvoir organiser un essai s’écartant de la loi (cf. par ex. art. 75a al. 1 de la loi sur l’assurance-chômage [LACI; RS 837.0]).
- Dans la pratique, un « assainissement progressif » des bases légales nécessaires a été toléré (cf. par exemple art. 36a de l’ordonnance sur l’assurance-maladie [OAMal; RS 832.102, pour lequel une base légale formelle a été introduite par la modification du 30 septembre 2016 de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie [LAMal; RS 832.10], après avoir été rejetée en votation le 17 juin 2012; cf. également la section 5a de l’ordonnance sur les aides financières à l’accueil extra-familial pour les enfants [OAAcc; RS 861.1], pour lequel une base légale formelle a été introduite par l’art. 2 al. 1 let. d de la modification du 1er octobre 2010 de la loi fédérale sur les aides financières à l’accueil extra-familial [LAAcc ; RS 861; RO 2011 307]). Pour introduire un projet pilote par voie d’ordonnance, un certain nombre de conditions devrait toutefois être respecté : 1) Le projet pilote prévoit l’octroi d’un avantage pour les destinataires de la réglementation expérimentale; 2) Le but du projet pilote est conforme à celui de la loi. 3) L’objet de la réglementation expérimentale est d’une portée très limitée. 4) Le mandat de présenter un message pour créer la base légale formelle dans un délai raisonnable devrait figurer dans le dispositif de décision du Conseil fédéral.
- La loi formelle doit circonscrire l’étendue de la dérogation possible, c’est-è-dire au moins fixer le but et l’objet de la dérogation (pour un exemple plutôt réussi, cf. art. 75a, al. 1, LACI : les essais pilotes doivent répondre « à l’un des buts suivants : expérimentation de nouvelles mesures relatives au marché du travail; maintien d’emplois existants; réinsertion de chômeurs; l’art. 75, al. 2 et 3, LACI liste en outre les dispositions légales auxquels les essais ne peuvent déroger). La loi devrait aussi régler le statut des projets pilotes à l’échéance de l’évaluation jusqu’à l’entrée en vigueur de la règlementation légale (pour un exemple, cf. art. 112b et dispositions transitoires relatives à la modification du 26 septembre 2014 de la loi sur l’asile [LAsi ; RS 142.31]). De cette manière, on évite de devoir prolonger l’essai dans l’attente d’une base légale formelle alors que les conditions d’une telle prolongation ne sont pas réunies (cf. ci-dessus).
- Le contenu normatif des projets pilotes qui déroge à la loi doit être fixé dans une ordonnance du Conseil fédéral. Une sous-délégation à un département ou a fortiori à un office présupposerait une base légale formelle expresse : L’art. 48, al. 1, de la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration (LOGA; RS 172.10) ne suffit pas à cet égard, car la dérogation à des dispositions légales a une trop grande portée pour être sous-déléguée sur cette base (exemple de base légale formelle : art. 68quater, al. 1, LAI tel qu’interprété par l’art. 98, al. 1, let. a, du règlement sur l’assurance-invalidité [RAI; RS 831.201]). Pour un exemple de dispositions d’ordonnance spécifiant les dérogations à la loi, cf. art. 29 et 38 de l’ordonnance sur la réalisation de phases de test relatives aux mesures d’accélération dans le domaine de l’asile [OTest; RS 142.318.1]).
- Les grandes lignes des projets pilotes doivent être fixées par voie d’ordonnance. Le principe est que le projet pilote doit être réglé par voie d’ordonnance de manière aussi substantielle que s’il s’agissait du régime ordinaire (surtout si le projet pilote concerne un domaine qui est réglementé de manière complète par voie d’acte normatif ou s’il s’applique de manière impérative à l’égard d’un cercle restreint de personnes; cf. par exemple art. 3–5 ordonnance sur le projet pilote « Capital de départ », qui définissent les bénéficiaires du projet, attribués de manière aléatoire à trois groupes, leur droit à un capital de départ et le montant de ce capital). Une réglementation unilatérale des concepteurs du projet pilote, un contrat entre les parties au projet pilote ou une décision d’approbation du projet pilote ne suffit pas.
Si le domaine concerné confère une certaine autonomie aux organes d’exécution (à l’instar des assureurs dans l’assurance-maladie sociale) et que les particuliers sont libres de participer au projet pilote, il est possible de prévoir que les modalités de détails seront fixées dans des actes soumis à autorisation qui feront office de conditions générales contractuelles pour les particuliers qui choisissent de participer au projet pilote.
Enfin, il faut noter que différentes modalités sont envisageables pour prévoir une telle législation expérimentale. On peut envisager une ordonnance générale autorisant les projets pilotes dans un domaine, précisée par des ordonnances spécifiques par projet pilote ; il est aussi possible d’introduire seulement une règlementation générale couvrant plusieurs projets pilotes ou seulement des ordonnances spécifiques par projet pilote. On doit dans tous les cas distinguer l’ordonnance sur le contenu du projet et la décision d’approbation du projet (décision ou contrat, nécessaire lorsque ce n’est pas l’administration centrale, mais les cantons ou d’autres prestataires qui offrent le projet pilote ; cf. par ex. ordonnance de l’OFAS du 9 février 12 sur le projet pilote « Guichet unique marché du travail », RS 831.201.72 et son art. 4 : « L’OFAS décide de l’autorisation d’un projet pilote ; ... »).
Béatrice Graf-Hurni, Office fédéral de la justice, Unité Législation II