Arrêt du Tribunal fédéral 2C_28/2017 du 16 avril 2018

Principe de la subsidiarité

  • 5 octobre 2018
  • Traité par: Susanne Raas
  • Catégories d'articles: Arrêt de principe
  • Domaines juridiques: Assistance administrative internationale
  • Proposition de citation: Susanne Raas, Arrêt du Tribunal fédéral 2C_28/2017 du 16 avril 2018, ASA Online : Arrêt de principe
Arrêt du Tribunal fédéral 2C_28/2017 du 16 avril 2018 en la cause Administration fédérale des contributions contre A. et B. Question juridique de principe. Publication ATF prévue.

Contenu

  • 1. Regeste
  • 2. Faits (résumé)
  • 3. Extrait des considérants

1.

Regeste ^

Le principe de la subsidiarité a pour but de veiller à ce qu’une demande d’assistance administrative n’intervienne qu’à titre subsidiaire et non pas pour faire peser sur l’Etat requis la charge d’obtenir des renseignements qui seraient à la portée de l’Etat requérant en vertu de sa procédure fiscale interne. La demande d’assistance administrative ne doit être formulée qu’après que l’Etat requérant a utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne (consid. 3.3.1).
Si l’Etat requis a des doutes sérieux quant au respect du principe de la subsidiarité, le principe de la confiance ne fait pas obstacle à la possibilité de demander un éclaircissement à l’Etat requérant (consid. 3.3.2).
Le principe de la subsidiarité n’a rien à voir avec la pertinence vraisemblable des renseignements requis (E. 3.3.3).

Il principio della sussidiarietà ha lo scopo di garantire che una domanda di assistenza amministrativa intervenga soltanto a titolo sussidiario e non per gravare lo Stato richiesto dellonere di ottenere delle informazioni che sarebbero alla portata dello Stato richiedente in virtù della sua procedura fiscale interna. La domanda di assistenza amministrativa deve essere formulata soltanto dopo che lo Stato richiedente ha esaurito le fonti abituali di informazioni previste nella sua procedura fiscale interna (consid. 3.3.1).
Se lo Stato richiesto nutre seri dubbi circa il rispetto del principio della sussidiarietà, il principio della fiducia non osta alla possibilità di domandare chiarimenti allo Stato richiedente (consid. 3.3.2).
Il principio della sussidiarietà non ha nulla a che vedere con la rilevanza verosimile delle informazioni richieste (consid. 3.3.3).

Ziel des Subsidiaritätsprinzips ist sicherzustellen, dass ein Amtshilfeersuchen nur subsidiär gestellt wird und nicht die Last, Informationen erhältlich zu machen, die vom ersuchenden Staat im Rahmen seines internen Steuerverfahrens erlangt werden könnten, dem ersuchten Staat aufgebürdet wird. Das Amtshilfeersuchen darf erst gestellt werden, wenn der ersuchende Staat die gemäss seinem internen Steuerverfahren vorgesehenen gewöhnlichen Informationsquellen ausgeschöpft hat (E. 3.3.1).
Sofern der ersuchte Staat ernsthafte Zweifel daran hegt, ob das Subsidiaritätsprinzip eingehalten wurde, steht das Vertrauensprinzip der Möglichkeit, Erläuterungen beim ersuchenden Staat einzuholen, nicht entgegen (E. 3.3.2).
Das Subsidiaritätsprinzip hat nichts mit der voraussichtlichen Erheblichkeit der ersuchten Informationen zu tun (E. 3.3.3).

2.

Faits (résumé) ^

Le 9 juin 2015, la Direction générale des finances publiques françaises (ci-après: l’autorité requérante) a adressé une demande d’assistance administrative internationale en matière fiscale à l’Administration fédérale des contributions (ci-après: l’Administration fédérale) au sujet de A., concernant l’impôt sur le revenu des années 2011 et 2012 et l’impôt de solidarité sur la fortune des années 2011 à 2013. L’autorité requérante soupçonnait A. de résider en France, quand bien même elle déclarait une résidence fiscale britannique, et de dissimuler des revenus imposables en France par le truchement de B., une société établie aux Iles Vierges Britanniques (ci-après: la Société) dont elle était l’ayant droit économique et qui était titulaire d’au moins un compte bancaire en Suisse. L’autorité requérante sollicitait en conséquence les états de fortune au 1 er janvier des années 2011 à 2013, les relevés pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 et le formulaire A de ce compte et de tous les autres comptes bancaires dont A. serait directement ou indirectement titulaire, ayant droit économique ou pour lesquels elle disposait d’une procuration au sein de la banque où ce compte était ouvert.

L’autorité requérante indiquait dans sa demande que les moyens de collecte de renseignements prévus par la procédure fiscale interne et utilisables à ce stade avaient été épuisés.

Il ressortait des documents produits par la banque suisse sur ordonnance de l’Administration fédérale que A. était l’ayant droit économique d’une relation bancaire ouverte au nom de la Société et comprenant plusieurs comptes, dont les références équivalaient en substance à celles du compte figurant dans la demande. Il en ressortait aussi que A. était titulaire d’une autre relation bancaire comprenant plusieurs comptes, et qu’elle disposait en outre d’un coffre.

Le 11 janvier 2016, A. et l’autorité requérante ont signé un contrat intitulé « règlement d’ensemble » relatif aux années 2010 à 2013 (ci-après: le Règlement d’ensemble), qui valait engagement de l’autorité fiscale française. Ce contrat se réfère à la reconnaissance de revenus effectuée par A. le 11 décembre 2015 et contient les clauses suivantes :


Article 1 er – L’administration, après examen de l’affaire, accepte de retenir les éléments avancés par le conseil de Madame A. dans le courrier du 11 décembre 2015 pour établir l’assiette de son imposition sur les années 2010 à 2013.
(...)

Article 2 – Madame A. (...) s’engage par ailleurs à respecter ses obligations fiscales courantes et à payer les sommes laissées à sa charge en vertu de l’article 1 er dans les délais de mise en recouvrement des impositions supplémentaires arrêtés avec le comptable public compétent.

Article 3 – Faute par Madame A. de respecter l’une quelconque des conditions fixées à l’article 2, le présent règlement d’ensemble sera déclaré caduc et le recouvrement de l’intégralité des sommes légalement exigibles (impôt en principal et pénalités d’assiette) pourra être poursuivi selon les règles prévues par le code général des impôts. 

A. et la Société se sont opposées à toute transmission de renseignements au motif que la procédure fiscale française avait fait l’objet d’un Règlement d’ensemble. Suite à cela, l’Administration fédérale a demandé à l’autorité requérante si le contrôle fiscal était toujours en cours et sur quelles périodes il portait. Le 11 mars 2016, l’autorité requérante a expliqué en détail que le contrôle de A. devait être considéré comme étant toujours en cours. Pour ces raisons, elle maintenait la demande d’assistance administrative.

Par décisions du 1er avril 2016, l’Administration fédérale a accordé l’assistance administrative concernant A. et a décidé de transmettre à l’autorité requérante les renseignements sollicités.

Une seconde décision accordant l’assistance administrative a aussi été notifiée à la même date à la Société.

A. a interjeté recours contre ces décisions auprès du Tribunal administratif fédéral en concluant à leur annulation. La Société a uniquement recouru contre la seconde décision du 1er avril 2016.

Après avoir joint les causes, le Tribunal administratif fédéral a, par arrêt du 28 décembre 2016, admis les recours et annulé les décisions du 1er avril 2016. Il a en substance retenu que la demande d’assistance administrative litigieuse ne respectait pas le principe de la subsidiarité, parce que l’autorité requérante avait obtenu de A. les renseignements requis durant la procédure d’assistance administrative, et qu’il fallait dès lors admettre qu’elle n’avait plus d’intérêt à les recevoir. La demande était partant irrecevable.

Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l’Administration fédérale demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais, à titre principal, d’annuler l’arrêt du 28 décembre 2016 du Tribunal administratif fédéral et de confirmer ses décisions finales du 1 er avril 2016.

Le Tribunal fédéral admet le recours.

3.

Extrait des considérants ^

3.

Le litige porte d’abord sur le point de savoir si c’est à bon droit que le Tribunal administratif fédéral a jugé que la demande ne respectait pas le principe de la subsidiarité.

3.1. Le Tribunal administratif fédéral a retenu que l’autorité requérante avait obtenu les renseignements « fiscalement utiles » de la part de A., qui lui avait transmis une reconnaissance de revenus le 11 décembre 2015. Ce fait contredisait l’affirmation, contenue dans la demande d’assistance du 9 juin 2015, selon laquelle les moyens de collecte avaient été épuisés (principe de la subsidiarité). L’examen de la portée du Règlement d’ensemble conclu entre A. et l’autorité requérante le 11 janvier 2016 confirmait que la demande d’assistance du 9 juillet 2015 ne présentait plus d’intérêt pour l’autorité requérante et qu’elle violait de ce fait le principe de la subsidiarité. Ce contrat, qui engageait l’autorité fiscale française, avait en effet mis fin au litige fiscal pour les années 2010 à 2013. On ne pouvait donc pas retenir que le contrôle fiscal qui avait été ouvert en France contre A. était toujours en cours. En particulier, les motifs de caducité que le Règlement d’ensemble prévoyait n’étaient qu’hypothétiques, et ce document ne réservait pas non plus le résultat de la procédure d’assistance administrative. La demande d’assistance du 9 juin 2015 s’avérait ainsi irrecevable, faute de respecter le principe de la subsidiarité.

3.2. La recourante soutient que l’examen du respect du principe de la subsidiarité se rapporte uniquement à l’utilisation des moyens internes précédant le dépôt d’une demande d’assistance administrative. L’appréciation de l’intérêt, du besoin ou de l’utilité des renseignements sollicités relèverait de l’examen de leur pertinence vraisemblable.

3.3. Le ch. XI du Protocole additionnel à la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (ci-après: CDI CH-FR; RS 0.672.934.91) exprime le principe dit de la subsidiarité de l’assistance administrative internationale en matière fiscale:

Dans les cas d’échanges de renseignements effectués sur le fondement de l’art. 28 de la Convention, l’autorité compétente de l’Etat requérant formule ses demandes de renseignements après avoir utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne.

3.3.1. Comme son nom l’indique, le principe de la subsidiarité a pour but de veiller à ce que la demande d’assistance administrative n’intervienne qu’à titre subsidiaire et non pas pour faire peser sur l’Etat requis la charge d’obtenir des renseignements qui seraient à la portée de l’Etat requérant en vertu de sa procédure fiscale interne. Contrôler le respect du principe de la subsidiarité consiste ainsi à vérifier que la demande d’assistance administrative n’a été formulée quaprès que l’Etat requérant a utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne. Pour examiner si tel est le cas, il faut donc – logiquement – se placer au moment de la formulation de la demande. Cela ressort du reste aussi de la formulation du ch. XI du Protocole additionnel à la CDI CH-FR ( « après que »). En effet, peu importe que l’Etat requérant obtienne en cours de procédure des informations directement du contribuable visé, parce que celui-ci choisit spontanément de les lui transmettre et/ou conclut un accord avec les autorités fiscales. Le principe de la subsidiarité n’est donc pas remis en cause si le contribuable visé par la demande d’assistance administrative décide, alors que la procédure d’assistance est pendante, de transmettre, spontanément ou sur la base d’une convention, à l’autorité requérante des informations qui correspondent aux renseignements requis.

[1]

3.3.2. La jurisprudence a relevé que la question du respect du principe de la subsidiarité était étroitement liée au principe de la confiance associé au principe de la bonne foi. Ainsi, à défaut d’élément concret, il n’y a pas de raison de remettre en cause la réalisation du principe de la subsidiarité lorsqu’un Etat forme une demande d’assistance administrative, en tous les cas lorsqu’il déclare expressément avoir épuisé les sources habituelles de renseignements ou procédé de manière conforme à la convention. Cela étant, si la Suisse a des doutes sérieux quant au respect du principe de la subsidiarité, le principe de la confiance ne fait pas obstacle à la possibilité de demander un éclaircissement à l’Etat requérant (arrêt 2C_904/2015 du 8 décembre 2016 consid. 7.2).

3.3.3. Comme le relève Opel (Andrea Opel, Neuausrichtung der schweizerischen Abkommenspolitik in Steuersachen: Amtshilfe nach dem OECD-Standard, 2015, p. 365), la doctrine majoritaire est d’avis que le principe de la subsidiarité découle de la condition de la pertinence vraisemblable (cf. notamment Donatsch/Heimgartner/Meyer/Simonek, Internationale Rechtshilfe unter Einbezug der Amtshilfe im Steuerrecht, 2e éd. 2015, p. 234, Michael Engelschalk, in Doppelbesteuerungsabkommen der Bundesrepublik Deutschland (...) : Kommentar auf der Grundlage der Musterabkommen [MA], 6e éd. 2015, n° 35 ad art. 26 OECD MA; cf. aussi les autres auteurs cités par Opel, op. cit., p. 365 n. 1888). Selon cette conception, un renseignement ne remplirait la condition de la pertinence vraisemblable que s’il n’a pas pu être obtenu par l’Etat requérant par les sources habituelles de renseignements prévues par la procédure fiscale interne.

Opel ne partage pas cet avis et soutient que, pour l’examen de la pertinence vraisemblable des renseignements requis, le point de savoir si l’Etat requérant peut ou non les obtenir lui-même ne joue aucun rôle. Elle relève qu’à strictement parler, le principe de la subsidiarité ne figure du reste pas à l’art. 26 du Modèle OCDE de Convention sur le revenu et la fortune (MC OCDE), mais uniquement dans le Commentaire OCDE de ce Modèle (cf. Commentaire n° 9a ad art. 26 MC OCDE), et ajoute que le principe de la subsidiarité s’impose déjà au regard des règles de comportement de bonne foi qui doivent prévaloir dans les relations internationales (Opel, op. cit., p. 365).

La position d’Opel paraît a priori convaincante. Quoi qu’il en soit, que le principe de la subsidiarité doive ou non être considéré comme une émanation de la condition de la pertinence vraisemblable ne change rien au fait que ces principes ne visent pas les mêmes objectifs. Le principe de subsidiarité a pour but de vérifier si l’Etat requérant a épuisé ses sources habituelles de renseignements avant de solliciter l’assistance administrative d’un autre Etat. Il ne figure pas dans le texte de l’art. 28 CDI CH-FR (calqué sur l’art. 26 MC OCDE), mais uniquement dans le Protocole additionnel à la CDI CH-FR, et dans le Commentaire officiel du MC OCDE. La condition de la pertinence vraisemblable, prévue à l’art. 28 par. 1 CDI CH-FR, a quant à elle pour but de circonscrire l’assistance administrative aux seuls renseignements matériels qui sont vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne de l’Etat requérant ([…]).

Il en découle que ce n’est pas parce qu’une demande d’assistance administrative respecte le principe de la subsidiarité que les renseignements requis remplissent ipso facto la condition de la pertinence vraisemblable. Inversement, des renseignements sollicités dans une demande d’assistance administrative peuvent remplir la condition de la pertinence vraisemblable, mais la demande d’assistance administrative peut avoir été formulée sans que le principe de la subsidiarité n’ait été respecté.

3.3.4. En l’espèce, l’autorité requérante a précisé, dans sa demande d’assistance administrative du 11 juin 2015, qu’elle avait épuisé les moyens de collecte de renseignements prévus par la procédure fiscale interne et utilisables à ce stade. Il n’y a pas de raison de remettre en cause la véracité de cette déclaration et les juges précédents ne le font du reste pas non plus. Le principe de la subsidiarité a donc été respecté. Le fait que l’intimée ait, alors que la demande était pendante, procédé à une reconnaissance de revenus qui a donné lieu au Règlement d’ensemble n’est pas relevant au regard du principe de la subsidiarité. Autre est le point de savoir si l’assistance doit être accordée en pareilles circonstances sous l’angle de la pertinence vraisemblable ([…]). C’est donc à tort que les juges du Tribunal administratif fédéral ont déduit de l’existence du Règlement d’ensemble que la demande d’assistance administrative litigieuse violait le principe de la subsidiarité.

4. [Dans le cas d’espèce, les renseignements requis remplissent la condition de la pertinence vraisemblable. La demande d’assistance ne viole par ailleurs pas le principe de la bonne foi.]