Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1944/2017 du 8 août 2018

Ordre public

  • 26. November 2018
  • Bearbeitet durch: Lysandre Papadopoulos
  • Beitragsart: Grundsatzurteil
  • Rechtsgebiete: Internationale Amtshilfe
  • Zitiervorschlag: Lysandre Papadopoulos, Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1944/2017 du 8 août 2018, ASA online Grundsatzurteile
Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1944/2017 du 8 août 2018 en la cause A. et consorts contre Administration fédérale des contributions. Non-violation de l'ordre public par la loi espagnole 7/2012 du 29 octobre 2012 de lutte contre la fraude fiscale (absence de démonstration concrète d'une telle violation).

Contenu

  • 1. Regeste
  • 2. Faits (résumé)
  • 3. Extrait des considérants

1.

Regeste ^

Selon l’art. 25bis par. 3 let. c CDI CH-ES, les dispositions des par. 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l’obligation de fournir des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public. La terminologie utilisée pour définir la notion d’ordre public est parfois fluctuante; il est néanmoins admis qu’en tous les cas, une décision est incompatible avec l’ordre public si elle méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique.
Nach Art. 25bis Abs. 3 Bst. c DBA CH-ES sind die Abs. 1 und 2 nicht so auszulegen als verpflichteten sie einen Vertragsstaat Informationen zu erteilen, die dem Ordre public widersprächen. Die Terminologie, mit der der Begriff des Ordre public definiert wird, ist manchmal wechselhaft; es ist jedoch allgemein akzeptiert, dass eine Entscheidung auf jeden Fall unvereinbar mit der öffentlichen Ordnung ist, wenn sie die wesentlichen und allgemein anerkannten Werte ignoriert, die nach den in der Schweiz vorherrschenden Vorstellungen die Grundlage jeder Rechtsordnung bilden sollten.

2.

Faits (résumé) ^

Le 7 juillet 2016, l’autorité fiscale espagnole a adressé à l’Administration fédérale des contributions une demande d’assistance administrative en matière fiscale concernant A._______ au sujet de l’impôt sur le revenu (2010 à 2013) et pour des informations détenues par I._______ SA à Genève. Des informations avant tout bancaires étaient demandées afin de permettre à l’autorité fiscale espagnole d’évaluer correctement la situation fiscale de A._______.

3.

Extrait des considérants ^

[…]
3.3.7 Selon l’art. 25bis par. 3 let. c CDI CH-ES, les dispositions des par. 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l’obligation de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public.
3.3.7.1 Si la terminologie utilisée pour définir la notion d’ordre public est parfois fluctuante (cf. arrêt du TAF A-6589/2016 du 6 mars 2018 consid. 4.9 et les réf. citées), il est admis qu’en tous les cas, une décision est incompatible avec l’ordre public si elle méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique (Martin Kocher, in Zweifel/Beusch/Matteotti [éd.], Internationales Steuerrecht, 2015, n° 201 ad art. 27 MC OCDE ; Robert Weyeneth, Die Menschenrechte als Schranke der grenzüberschreitenden Zusammenarbeit der Schweiz, recht 2014 114 ss [cit. : Menschenrechte], p. 116 ; ATF 138 III 322 consid. 4.1, 132 III 389 consid. 2.2.3, 128 III 191 consid. 4a, rendus au sujet de l’art. 190 al. 2 let. e de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé [LDIP, RS 291]) ; voir aussi arrêt du TAF A-1735/2011 du 21 décembre 2011 consid. 3.5. rendu au sujet de l’art. 4 de l’Accord du 26 octobre 2004 de coopération entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, pour lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte à leurs intérêts financiers [RS 0.351.926.81, appliqué provisoirement dès le 8 avril 2009] relatif à l’ordre public, A-1531/2015 du 26 juin 2015 consid. 3.1.5).
Sont ainsi visés la protection des libertés fondamentales et les principes fondamentaux du droit, au nombre desquels figurent notamment, la fidélité contractuelle, le respect des règles de la bonne foi, l’interdiction de l’abus de droit, la prohibition des mesures discriminatoires et spoliatrices (cf. ATF 138 III 322 consid. 4.1, 132 III 389 consid. 2.2.1, 128 III 191 consid. 6a, toujours dans le contexte de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP). Comme l’adverbe « notamment » le fait ressortir sans ambiguïté, la liste d’exemples ainsi dressée par le Tribunal fédéral pour décrire le contenu de l’ordre public n’est pas exhaustive. Il serait d’ailleurs délicat, voire dangereux, d’essayer de recenser tous les principes fondamentaux qui y auraient assurément leur place, au risque d’en oublier l’un ou l’autre. Au vu des difficultés à définir positivement l’ordre public avec précision, le Tribunal fédéral procède par exclusion (cf. ATF 144 III 120 consid. 5.1 et les réf. cites). Au demeurant, qu’un motif retenu heurte l’ordre public n’est pas suffisant ; c’est le résultat auquel on aboutit qui doit être incompatible avec l’ordre public (cf. ATF 138 III 322 consid. 4.1, 120 II 155 consid. 6a, 116 II 634 consid. 4).
3.3.7.2 Au niveau conventionnel, l’art. 21 de la Convention du Conseil de l’Europe et de l’OCDE du 25 janvier 1988 concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, telle qu’amendée par le Protocole du 27 mai 2010 (RS 0.652.1, en vigueur pour la Suisse depuis le 1er janvier 2017 et pour l’Espagne depuis le 1er février 2013), qui s’intitule « Protection des personnes et limites de l’obligation d’assistance » prévoit également l’ordre public comme limite à l’assistance internationale (voir son par. 2 let. b et d). A son propos, il a été dit qu’une atteinte à l’ordre public pouvait être retenue dans des cas emportant une grave méconnaissance des valeurs fondamentales d’un Etat de droit, par exemple : procédure contraire aux principes d’équité et heurtant de manière intolérable la conception suisse du droit ; sanction draconienne pour la découverte d’un délit fiscal [peine de mort, châtiment corporel, punition collective ou autre sanction contraire à l’essence même de la dignité humaine] ; Etats incapables de respecter les garanties minimales de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [CEDH, RS 0.101, en vigueur pour la Suisse depuis le 28 novembre 1974] et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 [Pacte ONU II, RS 0.103.2, en vigueur pour la Suisse depuis le 18 septembre 1992] ; atteinte aux principes constitutionnels de la sécurité du droit et de la bonne foi (cf. Lysandre Papadopoulos, Echange automatique de renseignements [EAR] en matière fiscale : une voie civile, une voie administrative. Et une voie de droit ?, ASA 86 [2017/2018] 1ss, p. 23 s. et 25 s. et les réf. citées).

3.3.7.3 Selon le message du Conseil fédéral sur la modification de la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale [LAAF, RS 651.1], tant l’art. 26 du MC OCDE que son commentaire mentionnent de manière exhaustive les exceptions à l’échange de renseignements, lesquelles sont envisagées pour des cas très particuliers. Ainsi, il est indiqué que l’échange de renseignements peut être refusé lorsque l’octroi de ce dernier serait contraire à l’ordre public. Ce terme est défini de manière très restrictive et ne s’applique qu’à des cas extrêmes, comme lorsqu’une demande est motivée par des persécutions raciales, politiques ou religieuses (cf. Message du Conseil fédéral sur la modification de la LAAF du 10 juin 2016, FF 2016 4955, 4958 ; Commentaire, n° 19.5 ad art. 26 MC OCDE, évoquant par ailleurs les « intérêts vitaux de l’Etat lui-même » en lien par exemple avec des informations sensibles des services secrets ; voir également la version anglophone du Commentaire plus récente [Model Tax Convention on Income and on Capital {condensed Version}, Commentary, 2017] ; arrêt du TAF A-1916/2016 du 20 décembre 2017 consid. 7.2).

En lespèce, ...
... les recourants, parmi lesquels figurait A._______, alléguaient notamment une violation de l’ordre public au motif que l’application de la nouvelle loi espagnole 7/2012 du 29 octobre 2012, adoptée dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la fraude fiscale, pouvait conduire à la perception d’un impôt confiscatoire contraire à la garantie de propriété prévue par le droit constitutionnel suisse.
Toutefois, le Tribunal administratif fédéral a jugé que le recourant 1 n’avait pas démontré l’effet confiscatoire sur l’ensemble de son patrimoine (et non seulement sur les actifs qu’il détient en Suisse) de l’imposition qu’il critiquait. Il se limitait à exposer d’une manière générale les conséquences auxquelles peut amener l’application de la loi espagnole 7/2012. La question de savoir si la réserve de l’ordre public de l’art. 25bis par. 3 let. c CDI-ES inclut l’interdiction de percevoir des impôts confiscatoires n’a pas été tranchée en l’espèce.
(Rejet de recours, pour autant que recevable).