Arrêt du Tribunal fédéral 2C_880/2020 du 15 juin 2021

Application temporelle de la clause d’échange de renseignements

  • Bearbeitet durch: Lysandre Papadopoulos
  • Beitragsart: Grundsatzurteil
  • Rechtsgebiete: Internationale Amtshilfe
  • Zitiervorschlag: Lysandre Papadopoulos, Arrêt du Tribunal fédéral 2C_880/2020 du 15 juin 2021, ASA online Grundsatzurteile
Arrêt du Tribunal fédéral 2C_880/2020 du 15 juin 2021 en la cause Administration fédérale des contributions contre A. Ltd., B. Ltd., C. Ltd., D. Ltd., E., F. et G. Inc.

Contenu

  • 1. Regeste
  • 2. Faits
  • 3. Extrait des considérants

1.

Regeste ^

Les règles de procédure nouvelles de la CDI s’appliquent aussi lorsque les demandes portent sur des périodes fiscales antérieures à leur entrée en vigueur. L’échange de renseignements requis sur la base de l’(ancien) art. 26 CDI CH-US peut, en tant que norme procédurale, porter sur des périodes fiscales antérieures à l’entrée en vigueur de la CDI CH-US (rappel de jurisprudence). Il n’y a pas de motif de remettre en cause la jurisprudence.

Die neuen Verfahrensregeln des DBA CH-US gelten auch für Ersuche, die sich auf Steuerperioden vor dem Inkrafttreten des DBA beziehen. Der auf der Grundlage des (alten) Art. 26 DBA CH-US verlangte Informationsaustausch kann sich als Verfahrensnorm auf Steuerperioden vor dem Inkrafttreten des DBA CH-US beziehen (bestehende Rechtsprechung). Es gibt keinen Grund, die Rechtsprechung in Frage zu stellen.

2.

Faits ^

A.

Par demande d’assistance administrative du 14 décembre 2016, l’Internal Revenue Service (IRS) américain a requis l’assistance administrative de l’Administration fédérale des contributions (ci-après: l’Administration fédérale) concernant les citoyens américains E.________ et F.________, la société américaine A.________Inc., ainsi que plusieurs sociétés enregistrées dans des juridictions étrangères, notamment C.________Ltd. (Antilles néerlandaises), A.________Ltd. et B.________Ltd. (Hong Kong) et D.________Ltd. (Îles Vierges britanniques). L’IRS cherchait notamment à obtenir des renseignements sur divers comptes bancaires ouverts auprès de H.________SA et de la banque I.________AG au nom de C.________ Ltd., de A.________Ltd., de B.________Ltd., de D.________Ltd. et de E.________. En substance, l’IRS soupçonnait E.________ d’être le propriétaire économique de ces sociétés et d’en avoir tiré des revenus imposables aux Etats-Unis, mais qu’il n’aurait pas déclarés. Les renseignements requis portaient sur la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2013. Suite à des échanges confidentiels entre l’IRS et l’Administration fédérale concernant l’accès des parties au dossier, l’IRS a adressé à l’Administration fédérale, le 16 septembre 2017, une demande d’assistance modifiée quant aux éléments factuels fondant sa requête, sans modifier au surplus le contenu de la demande du 14 décembre 2016. L’Administration fédérale a indiqué que seule la demande du 16 septembre 2017 serait prise en compte dans la procédure.

B.

Par décision finale du 28 novembre 2018, l’Administration fédérale a accordé l’assistance administrative à l’IRS et décidé de lui transmettre des renseignements couvrant la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2013. Contre cette décision, C.________Ltd., A.________Ltd., B.________Ltd. et D.________Ltd., d’une part, et F.________, E.________ et A.________Inc., d’autre part, ont formé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral, concluant principalement à son annulation.

Après avoir joint les causes, le Tribunal administratif fédéral a, par arrêt du 8 octobre 2020, confirmé la décision du 28 novembre 2018 de l’Administration fédérale, sous réserve des informations relatives à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1997, qu’il a exclues de l’échange de renseignements (cf. consid. 3.3 de l’arrêt). Le Tribunal administratif fédéral a partant très partiellement admis les recours au sens du considérant 3.3 de son arrêt et les a rejetés pour le surplus (chiffre 1 du dispositif).

C.

C.a. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l’Administration fédérale demande en substance au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d’annuler le chiffre 1 du dispositif de l’arrêt du 8 octobre 2020 du Tribunal administratif fédéral en ce sens que sa décision finale du 28 novembre 2018 est confirmée et les recours des intimés entièrement rejetés; subsidiairement, d’annuler le chiffre 1 du dispositif de l’arrêt attaqué et de renvoyer la cause au Tribunal administratif fédéral pour nouvel examen dans le sens des considérants.

Le Tribunal administratif fédéral s’en tient à son arrêt. Dans leur réponse respective, les intimés concluent, à titre liminaire, à la production de pièces par l’Administration fédérale; principalement, ils proposent la confirmation du consid. 3.3 de l’arrêt attaqué, l’annulation de celui-ci pour le surplus et le renvoi de la cause au Tribunal administratif fédéral pour nouvel examen; subsidiairement, la confirmation de l’arrêt attaqué et le rejet du recours.

C.b. Par arrêt du 4 novembre 2020 (cause 2C_890/2020), le Tribunal fédéral a déclaré irrecevables les recours que E.________, F.________ et A.________Inc., d’une part, et A.________Ltd., B.________Ltd., C.________Ltd. et D.________Ltd., d’autre part, avaient également formés à l’encontre l’arrêt du 8 octobre 2020 du Tribunal administratif fédéral, dans la mesure où celui-ci rejetait leurs recours.

3.

Extrait des considérants ^

[…]

4.

4.1. Les dispositions qui régissent l’assistance administrative, par exemple celles qui prévoient le contenu de la demande d’assistance, sont par nature procédurales. Les conventions de double imposition posent des règles qui fixent les exigences matérielles de cette procédure, alors que le droit interne sert à en concrétiser l’exécution en Suisse (ATF 143 II 628 consid. 4.3; cf. aussi ATF 146 II 150 consid. 5.4; 139 II 404 consid. 1.1). Les dispositions régissant l’assistance administrative qui figurent dans les CDI fixent des règles de procédure qui, partant et sauf disposition contraire, sont d’application immédiate, peu importe que les périodes fiscales visées par les demandes soient antérieures à l’entrée en vigueur des règles de procédure. A cet égard, il ne faut pas confondre l’applicabilité immédiate des règles procédurales régissant la demande d’assistance administrative fixées dans une CDI, avec la question des périodes fiscales visées par ladite demande. Les règles de procédure nouvelles de la CDI s’appliquent aussi lorsque les demandes portent sur des périodes fiscales antérieures à leur entrée en vigueur (ATF 143 II 628 consid. 4.3 et les nombreuses références; cf. aussi ATF 146 II 150 consid. 5.4). Les Etats peuvent toutefois prévoir des limites aux périodes fiscales susceptibles d’être visées par une demande d’assistance administrative et il est fréquemment stipulé dans les CDI les périodes fiscales à partir desquelles les demandes d’assistance administrative peuvent porter (ATF 143 II 628 consid. 4.3 et les références; cf. aussi ATF 146 II 150 consid. 5.4).

4.2. L’arrêt 2A.250/2001, certes rendu le 6 février 2002, repose sur le même raisonnement en lien avec l’assistance administrative en matière fiscale avec les Etats-Unis fondée sur l’ancien art. 26 CDI CH-US. Après avoir ainsi souligné que les clauses d’échange de renseignements étaient par nature des dispositions procédurales, le Tribunal fédéral a jugé que la disposition transitoire figurant à l’art. 29 par. 2 CDI CH-US concernait les dispositions matérielles de la convention, c’est-à-dire celles qui délimitent la souveraineté fiscale des parties contractantes, et qu’elle n’avait donc pas vocation à s’appliquer à l’(ancien) art. 26 CDI CH-US. Par conséquent, l’échange de renseignements requis sur la base de l’(ancien) art. 26 CDI CH-US pouvait, en tant que norme procédurale, porter sur des périodes fiscales antérieures à l’entrée en vigueur de la CDI CH-US (arrêt 2A.250/2001 du 6 février 2002 consid. 3, in RF 57/2002 p. 410, StE 2002 A 31.4 Nr. 6).

4.3. Cette jurisprudence a été appliquée depuis lors à plusieurs reprises par le Tribunal fédéral en lien avec l’assistance administrative avec les Etats-Unis (arrêts 2A.416/2001 du 12 mars 2002 consid. 2.2; 2A.551/2001 du 12 avril 2002 consid. 2; 2A.233/2003 du 22 décembre 2003 consid. 1; 2A.185/2003 du 27 janvier 2004 consid. 2). L’arrêt 2A.250/2001 a aussi été mentionné dans les arrêts publiés récents précités (ATF 143 II 628 consid 4.3 et 146 II 150 consid. 5.4). Cet arrêt n’est donc pas une décision isolée, mais relève d’une jurisprudence établie.

5.

5.1. En appliquant l’art. 29 par. 2 CDI CH-US pour limiter l’échange de renseignements fondé sur l’ancien art. 26 CDI CH-US à la période fiscale à compter du 1er janvier 1998, le Tribunal administratif fédéral s’est écarté de cette jurisprudence, sans expliquer pour quel motif ni du reste la citer.

5.2. Si le Tribunal administratif fédéral n’explique pas pour quel motif il a estimé que l’art. 29 par. 2 CDI CH-US devait s’appliquer en lien avec l’ancien art. 26 CDI CH-US, les intimés avancent plusieurs arguments pour appuyer la position des juges précédents. Ils relèvent d’abord que le principe de l’application immédiate des règles de procédure reposerait sur la présomption selon laquelle celles-ci améliorent la position des parties, ce qui serait précisément l’inverse dans le contexte de l’échange de renseignements, dont l’évolution historique a eu, au contraire, pour effet de rendre la situation des contribuables moins favorable qu’auparavant. Dès lors, et si tant est que les clauses d’échange de renseignements aient véritablement une nature procédurale, le principe de l’application immédiate des règles de procédure ne devrait pas s’appliquer dans ce domaine. Ensuite, l’absence de disposition explicite dans la CDI CH-US concernant l’application rétroactive de l’art. 26 CDI CH-US serait un signe qu’une demande d’assistance fondée sur cette disposition ne peut porter que sur des périodes fiscales postérieures à l’entrée en vigueur de la Convention. Une autre interprétation constituerait une violation du droit international proscrit par l’art. 5 al. 4 Cst., contreviendrait à la sécurité du droit, garantie à l’art. 5 al. 1 Cst., et serait contraire à la protection de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), dès lors que le comportement passé des contribuables américains s’est fondé sur la confiance qu’ils pouvaient légitimement mettre dans la Confédération, dont l’attitude était alors marquée par une réticence à transmettre des renseignements à des autorités fiscales étrangères. En outre, l’application immédiate des clauses d’échange de renseignements contreviendrait tant à l’art. 28 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 (CV; RS 0.111), qui pose le principe de non-rétroactivité des traités, qu’à l’art. 28 par. 6 de la Convention multilatérale de l’OCDE du 25 janvier 1988 concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Du reste, tant le droit international que le droit international suisse et le droit coutumier avaient toujours considéré comme principe fondamental celui de l’interdiction de l’application rétroactive des lois, de sorte que toute exception à ce principe devait être interprétée de manière restrictive et dans l’intérêt des contribuables.

5.3. Il convient de se demander si les arguments précités justifient de revenir sur la jurisprudence précitée. A cet égard, il n’est pas inutile de rappeler qu’un changement de jurisprudence ne se justifie, en principe, que lorsque la nouvelle solution procède d’une meilleure compréhension de la ratio legis, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l’évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un changement doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l’intérêt de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 139 V 307 consid. 6.1; 138 III 270 consid. 2.2.2; 138 III 359 consid. 6.1).

5.4. Les arguments des intimés n’apportent aucun élément propre à faire apparaître la jurisprudence du Tribunal fédéral comme erronée ou désormais inadaptée aux circonstances.

En premier lieu, l’argumentation présentée repose sur des considérations personnelles sur l’interprétation des conventions ou la nature des clauses d’échanges de renseignements. Les intimés n’expliquent ainsi pas pourquoi il faudrait remettre en cause la jurisprudence selon laquelle les clauses d’échange de renseignements ont une nature procédurale et ils n’apportent aucune explication convaincante et étayée qui s’opposent à leur application immédiate. En particulier, l’idée que ce principe serait lié au fait que les nouvelles règles procédurales sont plus favorables aux justiciables ne repose sur aucun fondement.

Les intimés n’expliquent pas non plus en quoi le Tribunal fédéral aurait adopté depuis 2002 une interprétation erronée de l’art. 29 CDI CH-US en retenant que cette disposition a seulement vocation à s’appliquer aux dispositions « matérielles » de la Convention. La doctrine ne semble du reste pas avoir critiqué cette approche.

S’agissant par ailleurs de l’art. 28 CV invoqué par les intimés, le Tribunal fédéral a déjà jugé, dans une affaire qui concernait aussi une demande d’assistance administrative américaine fondée sur l’ancien art. 26 CDI CH-US, que l’application immédiate des clauses d’échanges de renseignements ne violait pas le principe de non-rétroactivité prévu à l’art. 28 CV (arrêt 2A.551/2001 du 12 avril 2002 consid. 2a). Les intimés n’expliquent pas de manière convaincante en quoi les considérants de cet arrêt seraient erronés et requerraient un changement de jurisprudence de la part du Tribunal fédéral. Il y a sur ce point lieu de rappeler qu’il n’y a pas d’application rétroactive dans le fait de demander des renseignements, sur la base d’une clause d’échange de renseignements en vigueur d’une CDI au moment de la demande, même si les renseignements portent sur des périodes antérieures à l’entrée en vigueur de ladite clause. Si les parties à un traité veulent exclure qu’une demande puisse porter sur des périodes fiscales antérieures, elles doivent alors le mentionner expressément dans la CDI. C’est du reste ce que prévoient la plupart des clauses d’échange de renseignements figurant dans des CDI conclues par la Suisse et qui sont calquées sur l’art. 26 du Modèle de Convention OCDE sur le revenu et la fortune (cf. ATF 143 II 628 consid. 4.3). Dans le contexte de l’échange de renseignements fondé sur le nouvel art. 26 CDI CH-US, également calqué sur l’art. 26 du Modèle de Convention OCDE, l’art. 5 ch. 2 let. b let. i) et ii) du Protocole du 29 septembre 2009 (cf. supra consid. 3.1), il est prévu désormais les périodes à partir desquelles des renseignements peuvent être demandés. Or, de telles clauses n’auraient pas de sens si l’interdiction de la rétroactivité excluait de toute manière qu’une disposition d’échange de renseignements puisse porter sur des périodes fiscales antérieures à son entrée en vigueur.

Les intimés ne peuvent en outre rien tirer de la Convention OCDE concernant l’assistance mutuelle en matière fiscale de 1988 qu’ils invoquent, dès lors que la demande d’assistance administrative américaine en cause en l’espèce n’a pas son fondement dans ce traité, mais dans la CDI CH-US.

5.5. Il apparaît ainsi qu’il n’y a pas de motif de remettre en cause la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle l’assistance administrative fondée sur l’ancien art. 26 CDI CH-US peut porter sur des renseignements relatifs à des périodes antérieures à l’entrée en vigueur de la Convention. Il en découle que c’est à tort que le Tribunal administratif fédéral a exclu de l’échange les renseignements relatifs à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1997 en application de l’art. 29 par. 2 CDI CH-US.

[…]

(Admission du recours et annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il refuse la transmission à l’IRS des renseignements requis pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1997, l’assistance administrative devant aussi être accordée pour cette période.)