Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1538/2018 du 11 septembre 2019

Principe de spécialité. Tiers non concernés.

  • Trattato da: Lysandre Papadopoulos
  • Categoria di articoli: Sentenza di principio
  • Campo del diritto: Assistenza amministrativa internazionale
  • Citazione: Lysandre Papadopoulos, Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1538/2018 du 11 septembre 2019, ASA Online: Sentenza di principio
Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1538/2018 du 11 septembre 2019 en la cause Administration fédérale des contributions contre A. et B.

Contenu

  • 1. Regeste
  • 2. Faits (résumé)
  • 3. Extrait des considérants

1.

Regeste ^

Compte tenu de la sensibilité de l’affaire en cause, l’AFC doit faire figurer expressément dans le courrier de transmission des informations qui sera adressé à l’Etat requérant une formulation qui ne laisse place à aucune interprétation quant au respect du principe de spécialité ; l’AFC doit donc reprendre l’ancienne formulation qu’elle utilisait précédemment dans ses décisions en la matière (consid. 4.2.2).
Les recourants doivent désigner chaque donnée à caviarder relative à un tiers non concerné, de sorte qu’ils ne sauraient se contenter de solliciter un caviardage de manière toute générale. Dans la mesure où les données figurant dans la documentation à transmettre ne sont pas des renseignements nécessaires au sens de l’art. 26 CDI CH-BG (les informations portent sur des tiers non concernés au sens de l’art. 4 al. 3 LAAF), la transmission d’informations est exclue, et l’AFC doit procéder au caviardage de ces données avant l’envoi des informations à l’étranger (consid. 4.5).

Angesichts der Sensibilität des betreffenden Falles muss die ESTV in dem Schreiben zur Übermittlung von Informationen an den ersuchenden Staat ausdrücklich eine Formulierung aufnehmen, die keinen Raum für Interpretationen lässt, ob das Spezialitätsprinzip eingehalten wird ; die ESTV muss daher die alte Formulierung verwenden, die sie zuvor in ihren Verfügungen in diesem Bereich verwendet hat (E. 4.2.2).
Die Beschwerdeführer müssen jede zu schwärzende Datenangabe identifizieren, die sich auf einen nicht betroffenen Dritten bezieht. Sie können nicht einfach eine allgemeine Schwärzung beantragen. Handelt es sich bei den zu übermittelnden Daten nicht um notwendige Informationen gemäss Art. 26 DBA CH-BG (die Informationen betreffen nicht betroffene Dritte gemäss Art. 4 Abs. 3 StAhiG), ist die Übermittlung von Informationen ausgeschlossen und die ESTV muss die Daten vor der Übermittlung ins Ausland entfernen (E. 4.5).

2.

Faits (résumé) ^

En date des ***, *** et ***, la National Revenue Agency (ci-après : autorité requérante ou autorité bulgare) adressa à l’Administration fédérale des contributions (ci-après : AFC ou autorité inférieure) trois demandes d’assistance administrative en matière fiscale basées sur l’art. 26 de la Convention du 29 septembre 2012 entre la Confédération suisse et la République de Bulgarie en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (CDI CH-BG, RS 0.672.921.41) pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014.

La première demande concernait Monsieur A._______ et son épouse Madame B._______ et visait des informations bancaires. Les documents bancaires furent collectés.

La seconde demande concernait Madame A._______. L’autorité requérante indiqua avoir découvert que Madame A._______ aurait effectué un virement bancaire à l’Etude *** sise à Genève depuis un compte bancaire non déclaré qu’elle détiendrait au sein de la banque C._______. Afin d’analyser les transactions financières effectuées par Madame A._______ et évaluer ses actifs et avoirs détenus à l’étranger, l’autorité bulgare adressa à l’AFC des questions portant sur les contrats signés entre l’Etude *** et Madame A._______ ainsi que sur les paiements effectués par cette dernière à ladite Etude. L’Etude *** transmit les informations requises le 31 mai 2016.

La troisième demande, concernait Monsieur B._______. Dans cette requête, l’autorité bulgare mentionna suspecter ledit contribuable d’avoir dissimulé une partie de ses revenus par le biais de sociétés offshores gérées par les sociétés suisses G._______, H._______, I._______, J._______ (ci-après : les sociétés détentrices d’informations). Dans ce contexte, elle adressa à l’AFC différentes questions portant notamment sur les contrats conclus entre les sociétés détentrices d’informations et Monsieur B._______ concernant la gestion des sociétés offshores, sur les créations, les structures et les activités de ces dernières, sur les revenus ou paiements touchés par Monsieur B._______ en lien avec les sociétés offshores, sur les gains en capitaux réalisés par Monsieur B._______ en lien avec la vente des titres des sociétés offshores ainsi que sur la rémunération payée par Monsieur B._______ pour l’administration des sociétés offshores aux sociétés détentrices d’informations. Courant avril et mai 2017, les sociétés susmentionnées transmirent sur requête les documents et renseignements demandés à l’autorité inférieure.

Monsieur A._______ et son épouse Madame B._______ participèrent à la procédure et s’opposèrent à l’envoi d’informations le 9 décembre 2016, respectivement le 25 août 2017, par le biais de Maître Nicolas Candaux.

Par décision finale du 6 février 2018, notifiée à Monsieur B._______ et Madame A._______ par l’intermédiaire de leur représentant, l’AFC accorda l’assistance administrative aux autorités bulgares.

Monsieur B._______ et Madame A._______ (ci-après : recourants) ont déféré cette décision finale au Tribunal administratif fédéral le 9 mars 2018. Ils concluent, principalement, à la déclaration de la nullité de la décision finale du 6 février 2018. Subsidiairement, ils concluent à l’annulation de ladite décision sous suite de frais et dépens. Plus subsidiairement encore, ils concluent à l’annulation du ch. 2 du dispositif de la décision finale attaquée et au renvoi de la cause pour nouvelle décision afin que les informations et documents se rapportant aux éléments de fortune ou à des dépenses des recourants ou encore à des tiers non concernés soient écartés et caviardés. Dans sa réponse du 7 mai 2018, l’AFC conclut au rejet du recours. G.

Par courrier du 6 juin 2018, les recourants ont indiqué que par décision du ***, le Ministère de l’Intérieur de la République *** leur avait accordé le statut de réfugié politique et le droit d’asile en *** en raison de leur persécution en Bulgarie du fait de *** du recourant. Les recourants ont précisé que le Ministère de l’Intérieur de *** avait ainsi considéré qu’il existait des raisons fondées de penser que leur renvoi forcé en Bulgarie les exposerait potentiellement à la torture ainsi qu’à des traitements inhumains et dégradants. Le 18 juillet 2018, l’AFC a répondu aux observations formulées par les recourants en rejetant l’ensemble de leurs griefs.

3.

Extrait des considérants ^

[…]

3.7

3.7.1 La règle de la spécialité est un principe général du droit extraditionnel au caractère de droit international coutumier. Dit principe tend d’une part à la protection de la souveraineté de l’Etat requis, en permettant à ce dernier de définir précisément le cadre de sa collaboration et en maintenant un certain degré de contrôle sur l’utilisation des informations transmises, en tenant compte des spécificités de son propre droit. Il constitue d’autre part une garantie en faveur de la personne concernée (ATF 135 IV 212 consid. 2 ; arrêts du TAF A-1560/2018 du 8 août 2019 consid. 6.2 et A-5046/2018 du 22 mai 2019 consid. 2.5). Dans le cadre de l’assistance administrative en matière fiscale, le principe de spécialité veut que l’Etat requérant n’utilise les informations reçues de l’Etat requis qu’à l’égard des personnes et des agissements pour lesquels il les a demandées et pour lesquels elles lui ont été transmises (cf. art. 26 par. 2 CDI CH-BG ; arrêt du TAF A-769/2017 du 23 avril 2019 consid. 2.6 et les références citées]). En d’autres termes, il implique que les informations transmises ne pourront être utilisées qu’en lien avec les impôts dus par la personne concernée par la demande d’assistance. En vertu du principe de la confiance, la Suisse peut à cet égard considérer que l’Etat requérant, avec lequel elle est liée par un accord d’assistance administrative, respectera le principe de spécialité, sans qu’il soit nécessaire que l’Etat requérant fournisse une assurance explicite (arrêts du TAF A-5046/2018 du 22 mai 2019 consid. 2.5 et A-7022/2017 du 30 juillet 2019 consid. 3.8 et les références citées). Pour le surplus, il est rappelé que la conclusion d’une CDI constitue une décision politique et que les obligations découlant du droit international sont contraignantes pour les tribunaux en vertu de l’art. 190 Cst. (cf. arrêt du TF 2C_619/2018 du 21 décembre 2018 consid. 4.2).

3.7.2 Selon l’art. 26 par. 2 CDI CH-BG, les renseignements reçus dans le cadre de l’assistance peuvent être entre autres utilisés, sans le consentement de l’autorité compétente de l’Etat requis, pour l’établissement et le recouvrement des impôts mentionnés au par. 1 et aussi pour les procédures et poursuites concernant ces impôts. En revanche, en vertu de l’art. 26 par. 2 seconde phrase CDI CH-BG, l’utilisation des informations reçues par l’Etat requérant à d’autres fins que celles mentionnées à l’art. 26 par. 2 première phrase CDI CH-BG suppose que cette possibilité résulte des lois suisses et bulgares et, cumulativement, l’accord de l’autorité compétente de l’Etat requis. En Suisse, l’AFC est à ce titre compétente, avec l’accord de l’Office fédéral de la justice (art. 20 al. 3 de la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur l’assistance administrative fiscale [LAAF, RS 651.1]). ; arrêt du TAF A-837/2019 du 10 juillet 2019 consid. 5.3.3.2).

[…]

4.2

4.2.1 Au moyen d’un premier grief, les recourants invoquent qu’il existe un fort risque que les autorités requérantes utilisent – en violation du principe de spécialité – les informations obtenues par le biais de la procédure d’assistance administrative à d’autres fins que fiscales, spécialement dans le cadre de procédures à caractère pénal menées à l’encontre des recourants. A l’appui de leur grief, ils précisent qu’ils font l’objet d’une procédure d’entraide en matière pénale ainsi que de plusieurs procédures initiées par la Commission *** soit une autorité pénale. Selon eux, la nature des informations requises – spécifiquement celles relatives à leurs dépenses et à leur patrimoine – démontre qu’elles ne revêtiraient aucune pertinence fiscale mais seraient d’une grande importance dans le cadre des procédures pénales pendantes, spécialement dans la perspective d’une confiscation de leurs biens. De plus, selon les recourants leur statut de réfugiés politiques démontrerait que les différentes demandes d’assistance s’inscrivent dans le cadre de nombreuses persécutions d’ordre politique et judiciaire sans lien avec la fiscalité des recourants.

4.2.2 A titre liminaire, la Cour de céans relève que les autorités bulgares se sont expressément engagées, dans leurs requêtes, à traiter les informations obtenues de manière confidentielle conformément à la CDI CH-BG ( « You have my assurance that the provided information will be treated confidentially in accordance with the provisions of the Double Taxation Convention between our two countries »). Or, en vertu du principe de la bonne foi qui commande, en d’autres termes, une confiance mutuelle entre Etats contractants quant à la destination des informations transmises et quant au respect du principe de spécialité par les autorités de l’Etat requérant (cf. arrêt du TAF A-907/2017 du 14 novembre 2017 consid. 3.2.4.3), il n’y a ici aucune raison de discuter l’engagement exprès de l’Etat requérant quant au respect du principe de spécialité. Il convient pour le surplus de rappeler que la conclusion d’une CDI constitue une décision politique et que les obligations découlant du droit international sont contraignantes pour les tribunaux en vertu de l’art. 190 Cst. (cf. consid. 3.7.1 ci-avant).

En l’occurrence, les affirmations des recourants formulées de manière hypothétique ne sont pas de nature à remettre concrètement en cause l’engagement des autorités bulgares quant au respect du principe de la spécialité ni leur bonne foi. Nonobstant ce qui précède, la Cour de céans admet cependant que les explications apportées par les recourants laissent apparaître que l’hypothétique violation du principe de spécialité par l’autorité bulgare aurait des répercussions hautement néfastes pour les recourants, eu égard notamment à leur statut de réfugiés politiques. Dans cette mesure, la Cour de céans observe qu’au ch. 4 du dispositif de la décision litigieuse, l’autorité inférieure appelle spécifiquement l’autorité fiscale bulgare au respect dudit principe (« d’informer les autorités compétentes bulgares que les informations citées au chiffre 2 sont soumises dans l’Etat requérant aux restrictions d’utilisation et obligations de confidentialité prévues par la Convention [art. 26 par. 2 CDI CH-BG] »). Il est toutefois relevé qu’auparavant l’AFC spécifiait dans le dispositif de ses décisions finales que les informations transmises ne pouvaient être utilisées dans l’Etat requérant que dans le cadre de la procédure relative à la personne concernée pour l’état de fait décrit dans la demande. De plus, elle précisait que les informations obtenues et collectées sur la base du droit interne de l’Etat requérant devaient être tenues secrètes (cf. arrêt du TAF du 22 mai 2019 A-5046/2019 consid. 4). Compte tenu de la sensibilité de l’affaire en cause telle qu’exposée ci-avant, l’AFC devra procéder à la modification du dispositif de la décision litigieuse comme exposé ci-dessous, à savoir en reprenant l’ancienne formulation prévue dans ses décisions qui ne laisse place à aucune interprétation quant au respect dudit principe par l’autorité requérante. L’admission très partielle du recours sur ce point particulier devra être prise en compte dans le calcul des frais et dépens (cf. consid. 6 […]).

Sur la base de ce qui précède, le ch. 4 du dispositif de la décision finale doit être modifié comme suit :

4. d’informer les autorités compétentes bulgares que les informations citées au chiffre 2 sont soumises dans l’Etat requérant aux restrictions d’utilisation et obligations de confidentialité prévues par la Convention (art. 26 par. 2 CDI CH-BG)

4.

a. les informations sous chiffre 2 ne peuvent être utilisées dans lEtat requérant que dans le cadre de la procédure relative à Monsieur B._______ et Madame A._______, pour létat de fait décrit dans les demandes dassistance administratives des ***, *** et *** ;

b. les informations obtenues ainsi que les informations collectées sur la base du droit interne de Bulgarie doivent être tenues secrètes. Elles ne peuvent être rendues accessibles quà des personnes ou autorités (comprenant les autorités judiciaires et administratives) concernées par létablissement, le recouvrement ou ladministration des procédures ou poursuites, ou par les décisions sur les voies de recours relatives aux impôts visés par la Convention du 29 septembre 2012 entre la Confédération suisse et la République de Bulgarie en vue déviter les doubles impositions en matière dimpôts sur le revenu et sur la fortune ou qui exercent la surveillance sur ces fonctions. Ces personnes et autorités ne peuvent utiliser les informations que dans ces buts.

La Cour de céans précise qu’il conviendra pour l’AFC de traduire le texte précité en anglais – à savoir la langue de communication avec les autorités bulgares (cf. consid. 2.3.2) – et de le faire figurer expressément dans le courrier de transmission des informations qui sera adressé aux autorités requérantes.

[…]

4.5

4.5.1 Dans leur dernier grief, les recourants font valoir que des données relatives à des tiers non concernés apparaissent sur les documents que l’AFC entend transmettre aux autorités requérantes. Selon eux, ces données devraient être caviardées étant donné que ces informations ne seraient vraisemblablement pas pertinentes pour l’évaluation de la situation fiscale des recourants.

4.5.2 Dans un premier temps, Tribunal de céans rappelle que les recourants doivent désigner chaque donnée à caviarder relative à un tiers non concerné, de sorte qu’ils ne sauraient se contenter de solliciter un caviardage de manière toute générale (arrêts du TAF A-4218/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.2, A-525/2018 du 29 janvier 2018 consid. 4.2 s., A-4353/216 du 27 février 2017 consid. 5.2). La Cour de céans note que les recourants ont, dans un premier temps, formulé leur requête de manière générale dans leur recours du 9 mars 2018 en indiquant simplement que des noms de tiers, à savoir des noms de directeurs, d’agents, d’avocats, d’intermédiaires et de trustees apparaissaient sur la documentation à transmettre. Toutefois, dans leur réplique du 29 mai 2018, les recourants ont fourni une liste détaillée contenant les noms des personnes à caviarder ainsi que de la référence au document et au n° de page (cf. réplique du 29 mai 2018, pages 13 à 25). Le Tribunal de céans relève que l’AFC ne s’est pas déterminée sur la liste en question. Compte tenu de la précision de la requête des recourants relative aux caviardages, il y a lieu pour le Tribunal de l’examiner.

4.5.3 D’après l’analyse des documents que l’AFC entend transmettre aux autorités requérantes, le Tribunal de céans constate que les données permettant d’identifier les tiers mentionnés par les recourants ne paraissent vraisemblablement pas pertinentes pour l’évaluation de la situation fiscale des recourants. Au contraire, leur situation fiscale ne ressort pas de ces données mais de la documentation que l’autorité inférieure entend transmettre aux autorités bulgares. Par conséquent, la Cour de céans ne voit pas en quoi le caviardage de ces données les rendrait inintelligibles ou leur ôterait une quelconque force probante. L’AFC est d’ailleurs restée muette sur cette question n’apportant ainsi aucun argument démontrant que ces données ont un lien avec la question fiscale motivant la demande. De surcroît, le Tribunal de céans relève que l’AFC n’a pas informé ces tiers de l’ouverture de la procédure d’assistance administrative, élément qui démontre qu’elle les a considérés comme étant des tiers non concernés au sens de l’art. 4 al. 3 LAAF (cf. arrêt du TAF A-5715/2018 du 3 septembre 2019 consid. 5.5). Il s’ensuit que ces données figurant dans la documentation à transmettre ne constituent pas des renseignements nécessaires au sens de l’art. 26 CDI CH-BG, ce qui exclut la transmission d’informations les concernant. Il conviendra par conséquent à l’AFC de procéder au caviardage de ces données avant l’envoi des informations aux autorités bulgares.

[…]

(Admission partielle du recours au sens des considérants 4.2.2 et 4.5.3 et rejet pour le surplus. Le recours déposé auprès du Tribunal fédéral contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par arrêt 2C_829/2019 du 8 octobre 2019).