Chères lectrices, chers lecteurs,
Les connaissances acquises dans le domaine de la psychologie de la décision indiquent que la pensée des juges est guidée par le besoin de prendre une décision sur la base d'un récit cohérent. Dans sa contribution, Fiona Krummenacher met en lumière l'importance de la notion de cohérence et identifie les écueils qui peuvent conduire à des erreurs dans (l’élaboration de) la décision judiciaire (« Der Entscheid(find)ungsprozess des Strafrichter – Die Rolle von Kohärenz und Ursachen von Fehlverurteilungen »). L'auteure se penche sur la question de savoir dans quelle mesure les principes de la procédure pénale permettent de réduire les effets des sources d'erreur sur le processus (d’élaboration) de (la) décision. Elle examine en outre les mesures envisageables pour éviter les erreurs d'appréciation.
Dans la société médiatique actuelle, les « tempêtes médiatiques » font désormais partie du quotidien. Cette évolution n'épargne pas non plus la justice. Si cette dernière est en temps normal plutôt réservée dans ses relations publiques, elle est néanmoins tenue de « prendre activement la barre de la communication dans les phases de tempête ». C'est ainsi que s'ouvre la contribution d'Alberto Fabbri, Friedo Breitenfeldt et Rafael Schoch (« Ein Gericht im Mediengewitter – Tatsächliche und rechtliche Herausforderungen in der Krisenkommunikation »). Les auteurs tentent de mettre en perspective différentes constellations qui peuvent se cristalliser en un scandale médiatique accablant pour les personnes ou les institutions concernées. Ils évaluent le travail de relations publiques de la justice dans l'environnement médiatique actuel, décrivent le cadre juridique applicable et discutent des recours à disposition des personnes concernées. L'article se termine par des explications sur les principes essentiels et les recommandations d'action dans la communication (judiciaire) en situation de crise.
Le « juge assesseur », également appelé « juge non professionnel » ou « juge laïc », est une institution méconnue, voire ignorée, mais indispensable dans le paysage judiciaire suisse. Telle est la conclusion de Margaux Marmy dans son article « La figure du/de la juge assesseur-e en Suisse ». Les juges assesseurs soutiennent les juges de métier par leurs connaissances professionnelles ou techniques, en représentant une sensibilité politique particulière ou simplement la société civile (profane en droit). Cette contribution compare les conditions dans lesquelles les juges assesseurs exercent leur activité en Suisse, en particulier dans le canton de Genève, et esquisse des lignes directrices générales tant pour les tribunaux qui travaillent avec des juges assesseurs que pour les juges assesseurs eux-mêmes. Enfin, la présente contribution décrit et remet en question le développement de ce type de fonction en Suisse.
Silja Tolusso examine les tensions entre le principe de l'immédiateté des preuves et la protection des victimes (« Das Spannungsfeld zwischen Unmittelbarkeit und Opferschutz »). Les tribunaux pénaux sont tenus, entre autres, de répéter les preuves dûment administrées au cours de la procédure préliminaire, dans la mesure où la connaissance directe du moyen de preuve semble nécessaire au prononcé du jugement. Or dans des constellations de type « parole contre parole », le principe d'immédiateté se heurte souvent aux exigences de protection de la victime. L'auteure met en évidence ce point de tension et s'interroge sur l'utilité des déclarations immédiates des victimes devant les tribunaux.
Dans le droit des marchés publics, le principe de la confidentialité des offres contribue à garantir une concurrence efficace entre les soumissionnaires. Toutefois, dans le cadre d'un procès, ce principe se heurte généralement à certaines garanties procédurales du recourant. C'est à l'autorité judiciaire qu'il incombe de concilier la protection des informations confidentielles et le respect des différentes facettes du droit d'être entendu, ce qui n'est guère chose facile. La contribution de Guerric Riedi (« La confidentialité des offres dans le procès en droit des marchés publics ») met en lumière cette problématique en présentant les moyens dont dispose l'autorité judiciaire pour accomplir au mieux ses tâches.
Catherine Reiter (« Disziplinarrecht für Richterinnen und Richter: Quo vadis? ») voit la justice « de plus en plus touchée par des gros titres se référant à des personnes, suite à des conflits ou à des fautes disciplinaires (présumées) voire, souvent, à une combinaison des deux ». Face à cette exposition médiatique et aux critiques du système disciplinaire judiciaire, notamment du « Groupe d'États contre la corruption (GRECO) », la question de l'introduction ou de l'adaptation d'un système de surveillance disciplinaire des juges en Suisse se pose. La contribution aborde ces questions importantes et délicates du point de vue de la politique étatique et met l'accent – après avoir exposé les bases et donné un aperçu du statu quo – sur les compétences en matière disciplinaire et l'image de la justice.
Dans sa contribution au forum (« Zwischen Diskretion und Dialog – Herausforderungen und Lösungen für die Justizkommunikation in der ‹Post-Digitalisierung› »), Daniel Hardegger se penche sur la communication des juges avec le public et les médias. Dans ce contexte, les juges font preuve de retenue. Il y a certes de bonnes raisons à cette retenue, comme la protection du secret de fonction et l'intégrité des procédures. L'auteur se demande toutefois si les changements sociaux, médiatiques et technologiques ne conduisent pas à « repenser la vocation de la ‹communication judiciaire› et le rôle des juges dans celle-ci ». Si les juges sont absents des débats publics et médiatiques, ceux-ci seront tout simplement menés sans leur expertise. L'auteur fait également référence à l'intégration de l'intelligence artificielle dans la justice, qui devrait également modifier la perception du rôle des juges.
Dans les colonnes de l'Association suisse des magistrats (ASM), la juge Leonora Marti-Schreier se penche sur la question de savoir ce que les enfants peuvent inspirer aux juges. Elle arrive à la conclusion « qu'il peut (également) valoir la peine pour les juges, dans notre fonction parfois très intellectuelle, de prendre de temps en temps un peu de recul et de s'intéresser à la nature et à la simplicité des enfants. Cette perspective peut enrichir la justice ».
Outre le compte rendu habituel de l'Observatoire de la Commission de Venise (couverture médiatique de la justice constitutionnelle mondiale, Mise à jour 26) et la dernière rubrique bibliographique sur le droit de la magistrature (Mise à jour 63), nous souhaitons attirer votre attention sur la rubrique « News CH », où une nouvelle actualisation (Mise à jour 3) de la chronique Actualités du Parlement / Parlament aktuell / Notizie dal Parlamento est publiée, ainsi que sur les enregistrements du webinaire « Judikative im Dialog » du SIfJ et de la 3e Conférence judiciaire suisse.
Dans la rubrique « News abroad », Leonie Grob nous parle du Groupe européen d'administration publique (GEAP), dont la conférence annuelle 2023 s'est tenue à Zagreb (Croatie). Son groupe de travail international et interdisciplinaire (« Permanent Study Group XVIII ; Justice and Court Administration ») a traité de divers thèmes en rapport avec l'administration de la justice.
Nous vous souhaitons une lecture stimulante,
Arthur Brunner, Stephan Gass, Sonia Giamboni, Andreas Lienhard, Hans-Jakob Mosimann, Annie Rochat Pauchard, Thomas Stadelmann